Il ne faut certes pas être grand clerc pour se figurer qu’un tel panorama attirerait les curieux. Pensez donc : un mamelon rocheux de quatre-vingts mètres d’altitude, qui domine le plat pays a des lieues alentour, au pied duquel coule ce fleuve sinueux dont on n’a pas encore, à cette lointaine époque de conquêtes et d’invasions, donné un nom.
Le premier qui en fit un usage moins prosaïque que de s’en servir comme tour de guet a pour nom Khanh Long. Maître Zen de son état, il voit cette étrange formation recouverte de végétation, au sommet de laquelle il trouve un replat de granite, sur lequel il érige une hutte qui lui servira de lieu de méditation. Ses mantras se propagent aux quatre vents, et, bientôt, la hutte devient cabane, puis petit temple. Arrivent d’autres moines tout aussi versés dans la varappe et les psalmodies perpétuelles pour qu’un jour de 1681 on bénisse enfin l’endroit comme il se doit. C’est une sacrée affaire, voyez-vous : car c’est par édit impérial que cette pagode devient la première à être établie comme lieu de culte officiel dans cette partie du pays, pavant la voie du courant religieux Mahāyāna vers les terres fertiles du Mékong. On ne s’arrête pas en si bon chemin : on y façonne figurines, statues, stupas, et le lieu arbore petit à petit toute une panoplie de divinités bouddhistes et taoïstes, qui sourient de leur bonne fortune sous le ciel tropical.
Quelques siècles plus tard, la pagode Châu Thới est méconnaissable. Elle repose désormais sur de solides fondations de parpaings qui grignotent peu à peu le sommet. Un escalier de pierres moussues et inégales grimpe depuis la route qui encercle l’éminence, encombré de camelots, de pèlerins, de promeneurs, pour aboutir sur une large plateforme ou s’imbriquent cours et coursives, salles de prières et de repos, réfectoire, cuisines et lieux d’aisances. C’est un autre cachet, bien sûr, mais il témoigne de l’attrait de l’endroit. On y vient de loin pour contempler la vue, et faire offrande aux autels et sculptures colossales des Boddhisattva.
Et discerner, toujours, sous le bruissement des feuillages, la ritournelle imperturbable, immuable, de ces quelques syllabes…
Úm ma ni bát ni hồng
Úm ma ni bát ni hồng
Úm ma ni bát ni hồng