mardi 9 juillet 2024

L'idée qui germe

De vous tous, 
Le seul qui pousse,
Vous le connaissez. 
Pas touche, pourtant.
Sa souche, n’y pensez point.
Laissez !, cette pousse, ces liens,
Se déliter, se délier,
Qu’enfin, 
Elle sache,
Ce que vous, 
Vous cachez bien.

En tailleur minéral

En postures méditatives, malgré rapt de chef et diverses amputations.
Ils s’érodent, au fil des siècles, en prières inlassables,
Sous la pluie et les vents des moussons régulières.

dimanche 7 juillet 2024

Nirvāṇa Couch Surfer

Enfin allongé, enfin mûr pour l’infinie plénitude, délivré du cycle des réincarnations et content, serein, comme un lion rassasié. Ma tête repose sur ma main droite, indolente et sage maintenant. Vêtu de ma robe d’or qui recouvre mes hanches et mes jambes, j’embrasse de mes yeux de nacre tout l’univers. De nacre aussi, la plante de mes pieds est exposée à la vue de tous, maintenant que je n’ai plus à arpenter les chemins de l’existence. Venez en prendre de la graine, de mes voûtes planétaires ! J’y ai inscrit tout ce que je connais, toute ma sapience et mon entendement. Cent et huit enseignements, bien rangés, bien révélés, qui vous ouvriront les battants de la libération ! 

À bon entendeur

« Franchement ? En เรือหางยาว ! C’est la meilleure façon d’appréhender la ville par la Chao Phraya. Là, vous pouvez en prendre un depuis l’embarcadère de Saphan Taksin, c’est à un jet de pierre. D’accord, c’est un peu plus cher que les ferries publics, oui, les fameuses lignes orange, mais l’expérience est unique, je vous l’assure ! Vous pourrez suivre les méandres du fleuve à toute berzingue sur environ cinq milles nautiques et, quand vous apercevrez le prang du Wat Arun, c’est que vous serez presque arrivés à bon port. Vous le verrez de loin aussi, le débarcadère du Palais Royal, avec ses galeries jaunes et blanches et ses auvents crénelés. Vous risquez d’être un peu secoués, foi de batelier, donc il vous faudra le pied marin pour toucher terre ! Sitôt rendus, prenez par la rue Maha Rat qui longe le Palais, dont vous pourrez apercevoir les innombrables chofa par-delà les remparts. Il vous faudra marcher un bon moment, et tourner à droite sur Na Phra Lan, pour enfin parvenir aux portes du Temple du Bouddha d’Emeraude, qui sert de préambule à la visite des bâtiments royaux. Et là, mes cocos, vous allez en prendre plein les mirettes, moi je vous dis ! Stupas en pagaille, statues à foison, mosaïques, stèles, toits de tuiles orange et vertes et jaunes et bleues, colonnades, pagodons, panthéon, bas-reliefs, garde-fous, et des dorures, des dorures, des dorures ! Ne manquez pas la galerie des peintures murales qui ceinture le sanctuaire, c’est homérique à souhait. Et quand vous en aurez soupé, de tout ce faste, de toute cette ostentation majestueuse, eh bien, vous n’êtes pas au bout de vos peines ! Il vous faut maintenant trouver l’issue de sortie, un peu planquée je dois dire, et pénétrer dans la cour d’apparat, qui fait face à la salle des couronnements et aux appartements du monarque. Encore de longues circonvolutions à travers jardins, coursives, postes de garde et vestibules, avant d’enfin retrouver la cohue de la rue et l’appel des tuk-tuk. À ce stade, c’est d’un bon jus de fruit frais, assis confortablement sous les pales d’un ventilateur, les doigts de pieds en éventail, dont vous avez besoin. Ça tombe bien ! Vous trouverez votre bonheur par ici, oui, en traversant la rue, voilà, et en entrant dans le café ผู้เยี่ยมชม. Oh, j’oubliais ! Je vous ramène après ça ? »

Tous azimuts

Points cardinaux, 
trouvés en levant le nez, 
à Wat Phra Kaew, 
Wat Phra Chetuphon Wimon Mangkhalaram Rajwaramahawihan
et Wat Yai Chai Mongkhon.

samedi 6 juillet 2024

Tour de passe-passe

D’aucuns pourraient suspecter Ole Sheeren d’avoir un faible pour l’empilement et les jeux de constructions. Ils n’auraient pas tort ! Car, après avoir, avec son collègue Rem Koolhas, doté Beijing d’un étrange trapèze aux résilles vertigineuses en 2012, le voilà qui joue un an plus tard de superpositions hexagonales avec des barres d’immeubles résidentiels dans un quartier huppé de Singapour. Il se sent en veine, au vu des accolades de tout le gratin architectural, et c’est à Bangkok, du côté de Silom, qu’il vient s’amuser avec ses cubes. C’est un prisme cette fois, méticuleusement excavé de morceaux de façade, pour former un étrange ruban pixellisé autour de l’édifice, qui vient dominer la ville en 2016. On ne peut pas lui en vouloir, de jouer sur les formes : cette tour Mahanakhon est désormais célébrée dans la capitale comme un monument à la gloire du nouvel âge numérique, en voie de dissolution vers les clouds. À moins que le message ne soit plus prosaïque, plus mercantile aussi, dans une cité où prolifèrent les constructions verticales. Il faut bien vendre du rêve, aussi émietté dans les cieux soit-il.

แต่แล้ว « King Klong » ล่ะ ?

 
Dimanche 26 mars 1967, Bangkok

Tous les volets sont fermés dans le corps principal de la résidence, mis à part les persiennes de la chambre de maître. Il faut bien laisser un courant d’air, d’autant que M. Jim ne nous pas donné d’instructions claires quant à son retour en Thaïlande. Je dois bien veiller, en tant que secrétaire et gouvernante, à ce que les œuvres d’art du premier étage ne souffrent pas de l’humidité et de la chaleur. De nouveaux rouleaux de soie ont été délivrés ce matin depuis les ateliers de Ban Khrua, pour une commande très particulière, et je les ai déposés dans la salle d’étude pour que M. Jim les voie avant de les envoyer à la découpe. C’est un peu fâcheux, si je puis m’exprimer ainsi, de devoir attendre son aval, car le client – un studio hollywoodien de renom - ne semble pas pouvoir attendre très longtemps… Non, bien sûr, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! M. Jim est un homme d’affaires à la réputation la plus intègre et la plus pointilleuse – je suis d’ailleurs si honorée de servir ses intérêts et veiller sur son incroyable demeure – mais je m’interroge sur le motif de son départ soudain pour la Malaisie. Les soieries Thompson tournent à plein régime, les commandes affluent, de Hong Kong au Japon en passant par l’Europe et le Moyen-Orient, la guerre qui fait rage entre Vietnam du Sud et du Nord a résolument transformé Bangkok en plaque tournante de trafics en tous genres, et je comprends son appétence à une prise de distance par rapport à la situation actuelle. J’essaierai de le joindre par télex, si d’aventure il devait prolonger son séjour dans les hautes terres des plantations de Cameron pour demander procuration, si nécessaire. Pour l’heure, je dois réprimander notre jardinier, qui a encore oublié de changer l’eau du bassin des koïs, et de tailler l’arbre du voyageur près du canal, qui menace d’obstruer la vue sur la cour d’apparat et le salon des tentures.   

Lundi 27 mars 1967, Bangkok

C’est Connie Mangskau qui m’a prévenue tôt ce matin. Elle était toute tourneboulée, incohérente parfois, et la ligne n’était pas très bonne. De ce que je peux comprendre, c’est que M. Jim est porté disparu depuis hier au soir vers 19h00. Je n’ai pas plus de détails, si ce n’est qu’il est parti seul se promener hier en fin de journée, sur des sentiers proches du bungalow « Moonlight », propriété de ses amis M. Ling et de son épouse Helen, que j’ai eu la chance de rencontrer il y a quelques mois. Depuis lors, aucune trace de M. Jim, ni auprès des autorités de Cameron, ni des populations autochtones qui auraient pu l’accueillir pour la nuit. Je me dois de garder la tête froide. La nouvelle n’est pas encore parvenue à la presse, mais un étrange visiteur mandaté par la « Central Intelligence Agency » attaché à l’Etat Major des armées américaines est venu frapper au portail tout à l’heure. Je n’étais pas là, occupée à passer la dernière main sur des commandes en souffrance. Rendre visite aux ateliers, voir toutes nos tisserandes à l’ouvrage, ignorantes encore du fait que M. Jim est aux abonnés absents, tout cela m’a grandement éprouvé.  Il a fallu que je trouve refuge au temple Borom Niwat Ratchaworawihan pour prier et retrouver une certaine quiétude. De retour à la résidence, je ne peux que m’attrister devant ces façades closes, ces ventaux verrouillés et les palmes des bananiers qui oscillent avec mélancolie. J’effectue mon tour des appartements à pas feutrés, le regard un peu brouillé, surtout lorsque je passe devant l’énigmatique torse de calcaire Dvâravatî dans le cabinet d’étude, où me contemplent aussi les visages imperturbables de Surya et d’Ardhanari. Je me faufile de corridors en pièces confinées comme une ombre furtive, pour vite disparaître dans mes quartiers.  

 
Mardi 28 mars 1967, Bangkok

Déjà, la foule se presse aux abords des palissades qui délimitent la demeure Thompson. Tous les journaux en font leurs choux gras : « Le Roi de la Soie suscite l’émoi », « Disparition d’un Magnat de la Mode », « Aucun Signe du Populaire Millionnaire ». Le téléphone sonne sans interruption, et je ne sais comment filtrer les appels intempestifs. La police est arrivée sur les lieux pour cordonner le quartier, et me sollicite pour poser des scellés sur toutes les issues. Que faire ? Qui croire ? George Barrie, dont je n’avais jusque-là entendu que des louanges sur ses talents de négociant à notre galerie new-yorkaise, vient à ma rescousse, franchit notre portail sur les coups de neuf heures, et prend la barre avec brio. Ses premières déclarations visent à minimiser l’affaire, et à assurer que tout est sous contrôle. Il se montre, en privé, beaucoup plus circonspect. La notoriété de notre établissement repose presque exclusivement sur les épaules de M. Jim, et le mystère de sa disparition – si elle nous vaut une publicité d’ampleur internationale –, peut faire vaciller toute l’entreprise. C’est un exercice délicat, que je trouve tout à fait prématuré, d’insinuer que la Thai Silk Company peut prospérer davantage sans son fondateur, d’autant que le nom de Thompson est irrémédiablement lié à la résurgence de l’industrie de la soie au royaume des Siam ! Je me garde bien sûr d’énoncer mes opinions, alors que je dois répondre aux mille questions des enquêteurs sur ces derniers jours passés en sa compagnie, avant que M. Jim ne s’envole jeudi dernier pour Penang.   

Vendredi 31 mars 1967, Ayutthaya

J’ai quitté la capitale pour retrouver les miens ici, parmi les ruines des anciens temples, des banians et des éléphants. J’ai besoin de repos et de marches silencieuses, de prendre une certaine distance avec les évènements de cette semaine. Je ressens un vide profond, une absence de repères, comme si les objets et les êtres avaient perdu leur consistance. Là-bas, dans les montagnes de Malaisie, tout le monde est sur le qui-vive : l’armée, la police, les randonneurs, les chasseurs de primes, les Gurkhas, les missionnaires, les scouts, dans la plus grande battue jamais organisée de mémoire d’homme. Et, jour après jour, rien, aucun signe, aucune trace. M. Jim s’est volatilisé, sans que personne ne sache pourquoi. Je me remémore les premiers temps, il y a une dizaine d’années, alors que j’étais jeune commise à son service. Il m’avait prise à partie alors qu’il venait de recevoir une statuette birmane représentant Phra Phrom, soulignant la finesse des traits, l’élégance des proportions, la dextérité du sculpteur qui avait façonné cette figurine. Il en vint à me montrer d’autres pièces de sa collection, une représentation de Phra Narai et de Phra Isuan, devisant sur les rôles de ces divinités dans notre panthéon bouddhiste, et s’interrogeant sur les notions de karma et de destin. Il m’expliqua que dans sa jeunesse, il avait toujours été fasciné par d’autres déesses, les trois Moires grecques, qui tissent, déroulent et coupent le fil de la vie. Est-ce mon tour, de m’interroger à présent, ici, entre les vieilles pierres d’Ayutthaya, sur ce que le destin – ou le karma – a bien pu réserver à cet homme hors du commun ?

samedi 23 mars 2024

Matrimoplage

Une plage en amont de Quy Nhơn, qui s’étend jusqu’à l’horizon. Quelques bungalows posés là, grignotant le talus sur lequel serpente la route côtière. Une mer d’ardoise irisée d’écume, dont le ressac sourd à travers les portes-fenêtres. Plus tard, on ira se mêler aux convives d’une cérémonie de mariage aux accents fitzgéraldiens, sous la brise marine et les pergolas sertis d’hibiscus et d’orchidées. La nuit tombera sous les rires et les conversations, qui rouleront jusqu’aux petites heures, grises et soumises à l’ivresse des agapes nuptiales.

dimanche 25 février 2024

Pôle position

  

D’une métropole à l’autre, depuis l’observatoire le plus haut accessible au public.

  • Tōkyō, à gauche, vu depuis la Tembo Galleria de la Tōkyō Skytree, 450m au-dessus du sol.
  • Sài Gòn, à droite, vu depuis la terrasse du Blank Sky Lounge, au 76e étage de la tour Landmark81, située approximativement 380m au-dessus de la mêlée urbaine.

Contrastes et similitudes des cités asiatiques…

dimanche 18 février 2024

Inventerre

 

De nouveau suspendu entre ciel et l'eau, et la terre,

Pour faire collection de silhouettes.

Filiformes, longilignes,

Galbées, girondes, graciles, 

Audacieuses, communes, trapues, malignes,

Toutes dressées, toutes découpées sur la toile de la ville. 


jeudi 15 février 2024

II - Hôtel Belonzio

Agrippé sur un éperon de pierres rouillées, l’hôtel est un dédale de rampes d’escaliers, de paliers, de terrasses et de balcons. Briques rouges, tuiles rouges, pierres rouges, que viennent strier d’une blancheur crue des huisseries de bois peint, qu’il faut forcer un peu pour ouvrir les salons et les chambres. On se prend parfois à laisser les portes ouvertes, par habitude : le lieu est si propice aux allers et venues, aux montées, aux descentes, aux prises d’air, aux lectures interrompues, aux siestes impromptues.    


Il y a là parmi les hôtes de cet établissement un vieux militaire, grabataire, qui ne se déplace qu’avec escorte et litière. Il passe ses journées à demi-allongé, à scruter le paysage, inlassablement, silencieusement, immobile, toujours en uniforme, un uniforme vert-de-gris cousu de médailles et rehaussé d’épaulettes étoilées. Il regarde, du soir au matin, l’horizon vers le sud-ouest, sans que jamais il ne réagisse, ni aux formes des nuages, ni aux couleurs parfois sublimes que le ciel peut offrir, aux aurores surtout, aux crépuscules aussi. Non, il reste là, absorbé dans l’absence de changement, parce que jamais le paysage ne change. C’est une plaine immense, de rizières biscornues, estafilée de petits cours d’eau serpentins qui parfois se décident à filer droit. Il y a bien quelques oiseaux pour animer cet atone décor, mais cela ne suscite guère son intérêt. Ses factotums veillent sur lui, le sustentent à heures fixes – toasts, thé, potage ou gruau, un peu de jambon ou de fromage, un verre de vin, qu’il avale sans sourciller. Jamais un mot, jamais un son, juste quelques soupirs parfois, lorsque la nuit finit par tomber, et que la plaine s’estompe dans l’obscurité.


Bien des rumeurs courent, de degrés en degrés, d’alcôves en fumoirs, à propos de ce singulier pensionnaire. D’aucuns prétendent qu’il s’agit d’un dictateur d’opérette, échoué là pour finir ses jours en paix ; d’autres avancent l’idée qu’il fut grand héros d’une guerre lointaine dont ils ont eu vent, il y a longtemps. Quelques-uns le soupçonnent de mystification, ou de mythomanie. Pour connaître le fin mot de l’affaire, il faut glisser un petit billet au groom. Lui, il sait, il le tient d’ailleurs des soubrettes qui papotent aux petites heures avec le concierge et le voiturier. Cet hôte cacochyme emmuré dans son mutisme n’est autre que Zangra, oui, lui-même, vieux général en retraite qui a fui son Royaume pour s’établir ici, sur ce promontoire naturel, y retrouver la plénitude d’un horizon vide de toute signification. Il souhaite pousser son dernier souffle ici, entouré de pierres rouges, dominant l’immensité verte des campagnes orientales, sans ennemi aucun qui viendrait le surprendre dans son ultime désertion.

 

mercredi 14 février 2024

I - S'appelle-t-on Zangra ?

  
Depuis ce poste de vigie, la plaine est infinie, parcellée façon puzzle, sans plissement aucun. Courue de fils d’eaux, tissés au gré des érosions. L’étalement revêt mille nuances de verts, entrelacées de blanc, piquetée de poteaux tricotant la campagne. Pléthores d’échassiers picorent ce paysage autrement dénué de toute activité. On se demande alors, si hauts perchés, pourquoi le paysage est suspendu à notre attente. Ou peut-être est-ce l’opposé, et nous sommes seulement suspendus à l’attente elle-même, devant ce décor immuable et éternellement vacant.

lundi 12 février 2024

À celles qui servent le soleil

 

Jeu d’ombres et de lumières sur les Adityas qui gardent le Mont Meru, dans la pagode khmère de Phù Ly, à quelques encâblures de Cần Thơ. 

dimanche 11 février 2024

Cruise Control

« Pardieu, le Bassac ? Embarquer sur le Bassac ? Allons, mais ce vaisseau-là, je le croyais en cale sèche depuis longtemps ! Il vogue encore, dites-vous, du Tonlé Sap jusqu’aux cités lacustres du delta du Mékong ? Cornegidouille ! Et quand donc doit-il larguer les amarres ? Dans trois jours ? Le temps de préparer l’attelage qui nous conduira aux docks de Cái Bè… Bien, je vais faire le nécessaire pour que nos malles soient prêtes, pour… Pour une nuit à bord ? Sacrebleu, nous n’irons pas trop loin alors ! Dites m’en davantage, allons !... L’appareillage depuis Cái Bè, je vois, c’est praticable en cette saison. Puis nous descendrons le Cổ Chiên sur vingt mille nautiques, pour bifurquer sur la rivière Mang Thít où nous mouillerons pour la nuit. Sage décision, vu la faune qui y festoie aux heures sombres... Les tigres et autres léopards, je les préfère en trophée qu’enragés. À l’aube, si l’on n’est pas baisé comme un tacaud dans la vase, nous devrions remonter le fleuve Hậu pour rejoindre Cần Thơ et, de là, nous poursuivrons notre route par voie de terre vers le Nord. Fichtre, c’est une belle aventure, mes gaillards ! Allons donc faire provision de quelques spiritueux, pour trinquer à l’appontage prochain ! »

vendredi 3 novembre 2023

Tokyoscopie

 

Récapitulons.

jeudi 2 novembre 2023

南へ向かって

Depuis la municipalité de Ōta, au Sud de Tōkyō, où nous avons élu résidence pour quelques jours, il est facile de descendre sur Kawasaki, puis Yokohama, pour enfin aller voir la mer à Kamakura.
Pour cela, il faut emprunter une vieille ligne ferroviaire, la ligne Yokozuka, mise en service en 1889, et, par-delà les fenêtres du train express, contempler le défilé des installations portuaires qui barricadent les rivages de la baie. Fatras d’usines, d’entrepôts, de réservoirs, de grues, cerclé d’autoroutes sur pilotis, qui laisse place soudain aux collines boisées des faubourgs rupins. Les voies serpentent sous couvert d’arbres luxuriants, de bambouseraies frétillantes sous la brise marine.

On devine les toitures galbées de vieux sanctuaires, tandis qu’apparaissent les premières opulentes villas ; c’est que Kamakura, d’ancienne capitale shogunale il y a mille ans de cela, se mua, sous la restauration de Meiji au XIXe siècle, en bourgade bourgeoise confite de traditions. Pléthore de temples et de mausolées, éparpillés le long des ruisseaux, sur les coteaux et les promontoires, tandis que la petite ville fut prise d’assaut, dès les années 1890, par les premières vagues de touristes baigneurs. Car oui, un vent nouveau soufflait sur le pays, et toutes les institutions voulurent se mettre à la page de la modernité occidentale. C’est au docteur Sensai Nagayo, de retour d’Europe où il étudia médecine et salubrité publique, que l’on doit l’éclosion de la thalassothérapie dans l’archipel, avec bains de mer et de soleil, régime d’algues et de crustacées, dont il loua les bienfaits curatifs. « L’hygiène ! », se contentait-il de répéter à l’envi, alors que se réorganisaient sous sa houlette comités sanitaires, dispensaires et hôpitaux, aux quatre coins du Kantō. C’est ainsi que, de mai à octobre, les plages de Zaimozuka, de Shichirigahama – jusqu’à l’île d’Enoshima –, commencèrent à se peupler de citadins en goguette, venus là pour une trempette salutaire, sous les regards mortifiés d’une haute société privée de ses prérogatives séculaires.


Un bon siècle plus tard, nous y goûtons certes de belles heures de balades, sous les lumières douces d’une après-midi d’automne, mais nous n’avons ni maillot, ni serviette. Une prochaine fois, peut-être ?...

samedi 28 octobre 2023

六本木の上から

Au faîte de la célèbre tour des Forêts, au lieu dit de la Colline des Six Arbres, on peut essuyer du regard un pan assez considérable de la nappe citadine.

Portrait de paysage

Il semblerait que, quel que soit l’endroit où l’on se trouve dans le parc de Shinjuku, il n’y ait qu’une composition photographique qui soit prise : bosquets, étang, frondaisons, et, en arrière-plan immeubles de bureaux génériques, que surplombe la silhouette d’obélisque de la tour NTT DoCoMo. 

Clic.

vendredi 27 octobre 2023

Goulets et défilés

« Mon nom ?... Comment je m’appelle ?... On me nomme Fubuki, je suis né dans un hameau de montagne, pas loin du massif de Sukai, dans le Gunma. Depuis tout petit, j’ai appris le métier de pisteur et de guide. Un peu métayer, un peu palefrenier aussi. Je cours les sentiers et les routes marchandes, je porte charge, je cueille des herbes, je chasse. Depuis la mort du Gongen, les choses ont changé par ici. On voit de plus en plus de voyageurs tenter de traverser les cols depuis le Fukushima jusqu’au Tochigi. On est plusieurs à entretenir les routes de pèlerinage jusqu’à Nikkō, pour aller prier au sanctuaire de Tōsho-gū. Moi, je préfère veiller sur les chemins de l’Aizu Nishi Kaidō, qui sont vraiment abrupts et sauvages, surtout au printemps, lorsque les animaux sortent d’hibernation et peuvent être dangereux. Moi, oh non, je ne descends pas beaucoup dans les plaines, je n’y connais personne, et je n’y suis pas très bien accueilli d’habitude. Je préfère la compagnie des vents et des nuages, des arbres, des torrents. Parfois, un pèlerin se joint à moi pour le franchissement d’une passe, la découpe d’un arbre déraciné, la pose d’un collet, la collecte de l’eau d’une source. Les pèlerins, je les écoute parler, ils ont toujours des accents d’ailleurs, des mots que je ne connais pas, des raisons de voyager que je ne comprends pas. Ils ne me sont jamais hostiles, jamais dédaigneux, ils se contentent de me suivre, de marcher dans mes empreintes, de mâcher les baies que je leur tends en silence. Souvent, ils se mettent à psalmodier, à chanter, sans trop que je sache ni quand ni pourquoi. Je les laisse faire, sauf quand je sens qu’une laie, pas loin, a mis bas. Là, je suis plutôt direct. J’en viens même aux poings, si on se ferme pas vite sa gueule… Le feu, c’est toujours le feu, quand la nuit tombe, qui les rend taiseux. Ils regardent les flammes, ils ont une expression toujours un peu enfantine, comme si c’était encore la première fois que les flammes dansent pour eux, et parfois ils me racontent la vie des gens d’en bas. Leur vie d’en bas, leur famille et leur tracas de famille et leur espérance de trouver des résolutions à tout ça quand ils auront franchi le Portail de l’Aube, et qu’ils se prosterneront en présence de l’esprit du Gongen. Moi, je ne l’ai jamais vu, le sanctuaire de Tōsho-gū. J’en ai entendu tellement, des descriptions fantastiques, des expressions d’effroi, d’enchantement, de stupeur. Je me figure le nemuri-neko, dont la queue ondoie sous les rayons du soleil, et puis les trois singes immobiles dans leur sage pantomime. C’est Gorō, un jeune gars de Minami Aizu, qui en parle le mieux. Lui, il s’est glissé dans les futaies qui dominent les toits d’or, il a même osé s’approcher des degrés qui gravissent la colline du Okumiya Hōtō, et il l’a vue, la Tombe Sacrée, dans les brumes de l’automne ! Mais il ne devrait pas s’en vanter comme ça, ça finira par lui jouer des tours… Foi de Fubuki, tout ce que j’espère, c’est que ces sentes que nous entretenons serviront pour longtemps, et que la paix d’Edo durera toujours sous le bakufu des Tokugawa… Ja, je dois partir, j’ai de l’élagage à finir… Bonne route, et ki o tsukete, ne ! »