lundi 3 janvier 2022

Du balcon

Je sais pas vous, mais quand je suis à Paris, que je rentre dans un ascenseur et que je dois monter au sixième, le bouton que je pousse est toujours celui du dernier étage. Des fois, on n’y regarde pas à deux fois, ça peut être trompeur, il y des « M », des « E », des « 5½ », mais ça ne fait rien, c’est de toute façon le bouton tout en haut, le sixième, juste à côté de celui de l’alarme. Au bout d’un long moment, le bourdonnement feutré de la minuscule cabine de bois vernie marque un temps d’arrêt pour vous déposer là, au sixième donc, sur un palier de parquet chevronné et grinçant que recouvre tant bien que mal une langue de tapis bordeaux mité par les ans. C’est jamais glorieux, un sixième, même avec ce bouton d’ascenseur tout en haut, mais au moins on s’imagine qu’on pourra profiter de la vue, dans une mansarde sur cour pas trop basse de plafond.

Il arrive qu’on doive prendre d’autres ascenseurs ailleurs.

Celui que je dois emprunter maintenant qu’on a déballé nos cartons dans un complexe résidentiel du faubourg chic de Thảo Điền, à Saigon, arbore sur son côté droit un plastron galonné d’une cinquantaine de bitoniaux tous identiques, indexés d’un « B » en bas gauche jusqu’à un « 44 » tout en haut à droite, sur lequel je n’ai jamais vu quiconque poser le doigt. Il faut montrer patte blanche et carte magnétique pour choisir son arrêt, et faire preuve de patience dans la large cabine d’acier trempé lorsque c’est l’heure de pointe. On fait l’impasse sur le « 4e », le « 13e » et le « 14e », histoire de ne pas froisser les susceptibilités, nombreuses dans ces immeubles cosmopolites. Notre pied-à-terre est au trente-septième, où l’ascenseur s’arrête en douceur d’un coup de carillon. Le palier est semblable à tous les autres, carrelé de crème et de faux marbres, doté de portes toutes pareilles. Point de mansarde sous ces latitudes, mais des appartements fonctionnels aux fenêtres hautes et larges. D’où l’on surplombe, à cette altitude de tribun, tout le voisinage, et même davantage.