Touffeur des tropiques. Langueur lourde d'un climat tour à tour moite, humide, orageux puis sous la chappe d'un soleil immuable.
On imagine le désarroi d'une population à la peau trop blanche, habituée à ses printemps et ses douces tempéeratures, à cette sèche brise des côtes métropolitaines... Et que vient-elle faire là, si loin de ses terres tempérées, à exploiter l'indigène dans ces jungles infectes, où tout pique et mord ? A risquer la fièvre et un foie trop malade ?
Des malades, justement, le docteur Yersin en a déjà trop vu. Saigon a vu pulluler ces phtisiques à la peau trop jaune, à l'oeil torve et mi-clos qu'il faudrait envoyer à l'air pur et sec des cimes. Mais où trouver cela, dans ce pays d'eaux croupies, de plaines marécageuses et de forêts de caoutchouc ? Il y a bien les hauts plateaux, la-bas, vers le centre, mais les pistes ne sont pas praticables et les tribus qui y vivent n'aiment pas les intrus, surtout s'ils portent l'habit colonial.

On tergiverse beaucoup, à Saigon. On manque d'air et de villégiature. On voudrait s'extraire de cette pesanteur cochinchinoise. Alors, on prend tout de meme ces pistes et, à la fin des années 1890, on trouve enfin un coin au climat civilisé. C'est à 1500 metres d'altitude, à une douzaine d'heures de la ville. Là, l'air y est vif. Sec. Suisse. Yersin y fonde derechef un sanatorium et on creuse à main d'homme un lac pour faire bonne mesure. Le paysage est formidable, montagneux, verdoyant. Les riches planteurs y viennent de loin pour humer la brise fraîche du crépuscule, et bâtissent de grosses demeures qui leur rappellent ce pays perdu qu'ils ont quitté pour l'aventure extrême-orientale. On baptise l'endroit Dalat (car, dans le patois local, nous sommes sur le cours de la riviere Lat), et on lui ajoute une devise : Dat Laetitiam Aliis Aliis Temperiem, « elle donne aux uns la joie, aux autres le bon temps ». Et puis, comme toute bonne ville coloniale, on y construit l'essentiel : une église, une poste, un palace, un lycée qui fera la gloire de la ville, et des cafés, des promenades, un golf, une gare. Bref, une vraie sous-préfecture alpine, où l'on coule des jours sains, loin des turpitudes suantes des basses terres.