Je ne connaissais rien de Thích Quảng Đức, si ce n’est que je voyais en lui un de ces moines du bouddhisme Mahayana si présent au Vietnam, et dont les pagodes pillées et brûlées par les affidés de Ngô Đình Diệm témoignaient du climat de tension extrême qui traversait la république du Sud. Ces persécutions envers les bonzes exacerbaient la défiance vis-à-vis d’un pouvoir honni et corrompu, et personne ne croyait plus en un règlement pacifique d’une crise qui durait déjà depuis de longues semaines. Pour autant, la population saïgonnaise en avait vu d’autre, et se résignait à courber l’échine devant l’arrogance d’une armée brutale et incompétente, en attendant la suite des évènements. Seuls les étudiants osaient encore tenir tête au régime, et subissaient les assauts de militaires à peine plus âgés qu’eux, dans les dortoirs et les pagodes. On ne comptait plus les blessés, et l’on craignait par dessus tout les réactions du clan Ngô.
Le boulevard Phan Đình Phùng était déjà comble. J’aperçus, au loin, une longue procession de nonnes et de moines, précédés par une voiture de couleur bleu ciel, sur laquelle des bannières proclamaient l’exacerbation des sentiments des religieux persecutés. Au carrefour de la rue Lê Văn Duyệt, tout le monde fit halte. Les moines tinrent conseil un moment. Il semblait y avoir dispute, mais rien dans leurs agissements ne trahissait leur volonté de faire éclat. Soudain, un moine plus âgé sortit de la voiture, se détacha du groupe et vint s’asseoir au bord du trottoir. On lui apporta un coussin, et un jerrican d’essence. Toutes les robes firent cercle autour de lui. Le vieux moine se mit en position du lotus et entama un mantra, manipulant son chapelet. Puis, sans interruption, on versa sur lui le contenu du jerrican, avant qu’il ne s’immole par le feu, toujours récitant, toujours immobile, toujours assis. Ce spectacle fascinant ne souleva aucune protestation. Seul le feulement des flammes couvrait le silence de la foule hypnotisée. Moi-même, qui relate par ces mots ce que j’ai vu ce jour là, ne pus écrire une ligne. Le moine se consumait devant mes yeux, stoïque, ses vêtements en feu, sa tête noircissant, son corps se recroquevillant, sa silhouette disparaissant peu à peu sous les fumées épaisses. Nul murmure, nulle plainte, nul cri. Quelques sanglots, peut-être, venaient couvrir le silence de cette scène.
Ainsi périt Thích Quảng Đức, sur un coin de rue de Saigon, offrant au regard de la foule la plénitude de son destin.
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