jeudi 21 juillet 2011

Nihil sublime - solipsisme

La pièce est nue. Quatre murs réguliers en délimitent l’espace rectangulaire. Le sol de béton gris est poli par l’usage. Au plafond, une ampoule à baïonnette pendouille, suspendue acrobatiquement à son fil tordu. La lumière est diffuse, elle éclaire cette pièce vide où nulle ombre n’est portée.
Lorsqu’il entre avec elle, il ne prononce pas un mot. Il fume une cigarette à moitié consumée, qu’il laisse tomber à terre sans l’écraser. Il se dirige vers le mur opposé à la porte, qu’elle referme sans bruit. Elle se tient contre le chambranle. Elle ne dit rien non plus, elle regarde l’ampoule, puis le sol. Elle reste immobile, la tête baissée. Il soupire.
Plus tard, la pièce est obscure. L’ampoule a dû claquer. Un rai de lumière passe sous la porte. Ils sont toujours là, sans parler. Ils se regardent à la dérobée. Il a probablement fini son paquet de cigarettes : des mégots épars jonchent le sol à ses pieds. Soudain, il avance, se dirige vers la porte, lui demandant d’un geste de se décaler pour le laisser passer. Il sort et claque la porte. Elle se dirige lentement vers le coin à sa droite, et s’asseoit dos au mur, jambes étendues. Elle ferme les yeux.
Elle est endormie lorsqu’il revient. La porte s’ouvre, il apparaît, une cigarette éteinte au coin des lèvres. A ses bras pendent de lourdes chaînes, qu’il a enroulées rapidement ; autour du cou, une guirlande faite de fil électrique noir et d’ampoules à baïonnettes. Il pose le tout par terre, délicatement, et le tintement métallique des chaînes ne la réveille pas. Il fait le tour de la pièce, à la recherche d’une prise électrique, qu’il trouve juste à côté d’elle. Il dispose la guirlande d’ampoules à terre, le long d’un des murs et branche le dispositif. Puis il fouraille avec les chaînes, et aperçoit un crochet sur le mur à gauche de la porte. Il se rapproche, constate que le crochet est solidement vissé au mur, et y accroche le chaînon de tête, puis il dispose sinueusement la chaîne au sol, en direction du coin où elle dort toujours. Lorsqu’il est satisfait du résultat, il parcourt la pièce du regard, allume sa cigarette, et sort.

Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi. Plusieurs heures, certainement. J’étais si fatiguée ! Le silence et la pénombre, et mes jambes fourbues, et son regard à lui que je ne pouvais plus supporter. La porte est fermée à clef. J’ai bien essayé de pousser, de tirer, j’ai tapé du poing, du pied, de toutes mes forces. Rien à faire. Inutile de crier : il ne m’ouvrira pas. Il m’a simplement dit, avant de venir ici, qu’il fallait que je comprenne, et qu’ensuite, peut-être, il pourra me laisser tranquille. Il m’a dit regarde dans tous les coins, regarde le plafond, le sol, et trouve une voie de sortie. Il m’a dit aussi de ne pas parler, ni même chuchoter. Juste de penser. Que penser suffirait, et que je trouverai. Les ampoules ne sont pas fortes. Elles éclairent juste au ras du sol. Elles font briller les maillons d’une chaîne attachée au mur. Je n’ai rien touché encore. Je n’ose pas. Je regarde juste cette pièce. Je suis dans cette pièce pour longtemps, peut-être. Je sais confusément que cette pièce est en moi. Oui oui, la métaphore est facile. Pourtant c’est l’idée que je m’en fais. Que je suis cette pièce et qu’on me demande d’en sortir. Que personne ne plus entrer ici. Que je suis seule, et que je ne peux pas accepter ça. Qu’il faut que je trouve la sortie. Que je le retrouve lui et que je lui crache ma réalité au visage. Et que je l’enferme dans sa pièce à son tour.

(Inspiré de l'installation "Nihil Sublime" de Thierry Bernard Gotteland. Plus d'info ici.)

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