dimanche 17 décembre 2017

Đi chơi ở Hà Nội #3


 - Hey !

Je suis en train de regarder des canards patauger près des branches d’un saule. C’est un dernier petit tour photographique avant de rentrer à l’hôtel, et je profite du temps clair de cet après-midi de décembre, dans la vieille capitale, pour dénicher des coins à oiseaux. J’observe donc ceux-là, qui font trempette dans une eau limoneuse, entre deux jacinthes flottantes.

 - Hey ! Hey ! Toi, là !

Je dois être le seul quidam sur ce quai, à me pencher vers l’onde, appareil aux aguets. Aussi, je me retourne, surpris. Je cherche l’origine de cet appel intempestif. Les canards en profitent pour disparaître sous des racines.

 - Toi, oui ! Viens !

Ah. C’est bien de moi qu’il s’agit. Et l’énergumène qui me hèle est à moitié caché derrière une fenêtre ouverte, au rez-de-chaussée d’un restaurant indien. Voyant que je l’ai vu, il reprend la mastication de sa galette et me fait de grands signes de sa main libre. J’hésite une seconde. Je n’ai pas d’appétit à cette heure, et, quand bien même, je préfère un phở à un naan. Mais devant ses gesticulations répétitives et enthousiastes, je me rapproche, jusqu’à m’accouder sur le cadre de l’ouverture. Il finit une bonne bouchée, et, sitôt capable d’articuler, se lance.

 - Bel engin ! Reflex, hein ?... Dix-huit soixante-dix millimètres... Ouverture maxi à trois point cinq… Nikon, non ? Moi, chuis plutôt Canon, mais chacun fait c’qui veut… Ecoute mec. Y a un truc pas loin, c’est de la bombe. J’viens juste d’arriver ici, et j’suis tombé là-dessus, mec, et j’te jure, tu vas pas l’croire. Là-bas. Tu vois ? La bâche bleue ?

Je suis son doigt, qui désigne l’extrémité d’une presqu’île, juste en face. Pas de moindre oiseau à l’horizon, mais une grosse tache bleue, devant la mosaïque des maisons qui débordent sur les rives.

 - Non, non, mais ça, c’est les chiottes. C’est ce qui se passe derrière ! Et là, mec, prépare ton artillerie ! Chais pas quel est ton réseau, Facebook, Instagram, Snapchat, Twitter ou un autre , mais tu vas moissonner grave. Des like à n’en plus finir. C’est limite du Pulitzer ! Là, tu passes par cette passerelle, un peu plus loin, et tu te glisses discretos dans la foule. Tu feras tache, c’est sûr, mais avec ta gueule de blanc-bec et ta tignasse peroxydée, tu diras que t’es en reportage ! Pour National Geographic ou un truc dans le genre ! Ouais, tu vois ? De la balle ! Y a toute la pègre du Nord Vietnam réunie ! Ça parie à tire-larigot dans ce coin, du lourd ! Fonce !

Là-dessus, il mâchouille encore et me regarde en hochant la tête. Je prends congé. Je suis son conseil.

Je traverse un petit pont, par-dessus des eaux lourdes. Très vite, il y a affluence. Il n’a pas menti : l’endroit devient bondé de tronches patibulaires, anorak, vestes de cuir et rases tonsures. C’est du couillu partout. Et les premiers attroupements vibrent de cris surexcités. Je me glisse dans la foule, pour enfin distinguer l’objet de ces bruyantes cohues.


Des coqs. Des combats de coqs. Je suis tout étonné de voir que la pratique perdure. Il me semblait que les autorités, dans tout le pays, avaient interdit cette coutume. Pas tant pour le côté cruel d’un gallinacée qui crève sous les picorements d’un autre, mais pour endiguer l'afflux de paris sauvages. Faut croire donc qu’on laisse faire, pour le plus grand plaisir des groupies endimanchés qui vitupèrent d’une arène à une autre.

J’avise un moine de passage, tête lisse et tunique grise, sur le bien-fondé de la manifestation. Et lui me certifie que tout ce monde s’amuse, coqs compris.

 - Il n’y a plus de mise à mort, voyez ? Chaque volaille a sa chance, et s’il est trop blessé pour continuer le combat, on le déclare forfait. Comme ça, on reste dans les clous, tout en respectant nos traditions. C’est notre pagode Ngũ Xã qui organise depuis toujours ces pugilats, et on ne va pas abandonner ce folkore ! Le grand gagnant se réincarnera en dragon, ou en abbé, pour protéger notre communauté ! Tel est notre legs, sur notre petite île…


J’opine, je mitraille. D’arènes en arènes, sur des tapis multicolores, les coqs se toisent et s’attaquent. Les plus estropiés sont vite retirés, pour des soins de jouvences, avant de retrouver leur cage. Les vivats, et les billets, changent vite au gré des rencontres.

Ce n’est que lorsqu’un groupe de jeunes loufiats entreprenants s’en prend à mon attirail et mes roubignolles que je sais qu’il me faut déguerpir -  ma crête est mise à prix - pour retrouver des rues plus calmes.

C’est bon, j’ai eu mon compte de photos de plumes. 

Je garderai les miennes.

Et j’écrirai un billet, qui ne sera pas lu.

Đi chơi ở Hà Nội #2

Au passage...

Đi chơi ở Hà Nội #1


T’as mal aux cheveux. Tu te réveilles ensuqué, et il te faut quelques secondes pour te souvenir de la chambre où tu te trouves. Ah oui, Hà Nội. L’hôtel. La chambre aveugle, lit double, le robinet qui goutte. Tu regardes le réveil. Huit heures vingt. Courte nuit. Tu restes au lit quelques minutes encore. Faudra prendre une aspirine, mais là, sans bouger, ça va. Ça s’est vraiment bien passé hier. La salle n’était pas pleine, mais le public était chaud. Très bonne représentation, peut-être la meilleure. Et la dernière aussi. Et puis après, resto, fiesta, picole, picole, et un dernier verre ou deux encore, pas loin du lac de la Tortue, dans le quartier des 36, là où les bars ne ferment pas. T’es rentré en marchant de traviole, content, fourbu. T’as dû te dessaper vite fait, et boum, au pieu. Un sommeil sans rêve, et maintenant une bonne gueule de bois. La journée s’annonce bonne.

Tu te douches, eau chaude, eau froide, eau chaude, et ça atténue un peu le mal de bu. Tu t’habilles, et rassembles tes affaires. Un dernier tour de clef, et tu libères la chambre. Tu descends, la réceptionniste te reconnaît, tu demandes si tu peux laisser ton sac ici, tu reviendras le chercher vers midi, elle opine, et tu sors. Il fait beau, un peu frisquet. Tu as déjà mis ton appareil photo en bandoulière. Tu jettes un œil à la petite carte déjà froissée de la veille, pour reprendre tes repères. Tu es à un jet de pierre de la voie de chemin de fer, et la gare semble être un bon point de départ pour une errance diurne dans la ville. Au premier carrefour, tu t’arrêtes pour un café glacé, que tu avales en trois lampées.


La gare de Hà Nội, tu y étais déjà descendu. C’était il y a vingt ans, et tu venais de Chine, pour découvrir un Vietnam fantasmé, tout de chapeaux coniques portés par des filles en bicyclette, sur fond d’affiches de marteaux et faucilles. Tout juste débarqué du train, tu étais allé te perdre le long des larges rues qui mènent vers le fleuve rouge, et tu avais aimé ça. La clameur des vendeurs de rue, le vrombissement des motocyclettes, la langueur des vieux affalés sur les bancs publics, les eaux apaisantes des étangs. Tu étais resté quelques jours seulement, puis tu étais reparti. Il y avait d’autres pays en Asie qui attendaient ta venue.

Il y a plus de bruit maintenant. Plus de trafic, plus d’immeubles. Le soleil tape plus fort. Tu te dis qu’il faudrait peut-être te balader dans des coins moins exposés. Tu continues, toujours en longeant la voie, en quête du premier passage à niveau, vers la droite. Par-là, d’après ton plan, les quartiers semblent plus tortueux. Tu devrais pouvoir te perdre à nouveau.


Tu prends des photos, au gré de ta marche. Tu t’arrêtes souvent, finalement, pour guetter tes sujets. Ça prend du temps, d’être à l’affût, et discret, et poli aussi. Passée la rue Khâm Thiên, tu t’engages dans un lacis de venelles, ces ngô labyrinthiques qui tissent leur toile de voisinage en voisinage. Tu t’orientes comme tu peux, et tu demandes souvent ton chemin. Oui, il y a bien un lac par-là, le Văn Chương, avec ses pêcheurs et ses jets d’eau. Plus loin, c’est le vacarme de la circulation sur l’avenue Tôn Đức Thắng qui reprend ses droits, et tu fais un peu la gueule, rapport à ta lancinante migraine. Tu repiques vers le nord, car tu sais qu’il y a, un peu plus loin sur ta droite, le Temple de la Littérature qui, s’il sera probablement pris d’assaut par la gent estudiantine, offrira tout de même un répit à la cacophonie ambiante.

Dont acte. Toutes ses cours sont pleines. C’est jour de remise de diplôme et d’envolées de toques. Tuniques exigées, pour célébrations mandarinales. Tu te mêles à la foule des spectateurs attendris, et tu captures au passage deux ou trois portraits. 


Avec ça de pris, tu poursuis ta balade, toujours vers le nord. Le bric à brac des ngô laisse place nette au quartier des résidences coloniales. C’est cossu et cosy. Tu vois devant toi s’ouvrir la perspective de l’esplanade du Mausolée de Bác Hồ, que tu contournes. Tu lui as déjà offert tes condoléances la dernière fois, et tu le laisses en paix. Tu obliques à gauche, et, au jugé, tu t’enfiles dans une rue sinueuse, qui s’arrête net au portail d’un parc. Tu ne sais pas trop, dans ce coin bardé d’uniformes, si tu peux aller plus avant, mais tu avises une guérite où l’on vend des billets. Alors, pour quelques milliers de đồng, on te laisse pénétrer dans le Jardin Botanique. Là, les arbres sont très vieux et très hauts. Tu choisis un banc au bord de l’eau, omniprésente dans cette ville un brin lacustre, et tu laisses ton regard se poser longtemps sur les reflets qui changent. Ton ciboulot semble apprécier l’exercice. Tu fermes les yeux. Tu laisses couler.

Tu te souviens de ces moments passés alors. Au bord d’un autre lac, sûrement. Mais pas si loin d’ici. Elle voulait juste te faire découvrir sa ville, depuis le vieux centre jusqu’aux faubourgs campagnards. Elle conduisait sa Honda Cub prudemment, sans embardée ni coup de klaxon, louvoyant entre les bus et les cyclos. Elle avait bien aimé tes histoires sans queue ni tête, et aussi tes silences. Tes yeux ouverts et tes paupières fermées. Elle t’avait dit au revoir sur le quai, et vous êtes devenus étrangers de nouveau. Tu te souviens, c’est tout, et tu décides de te lever, de sortir de ce parc, et de revenir vers l’hôtel.

Tu te retrouves un peu plus loin à la croisée de Thụy Khuê et Thanh Niên, là où la digue sépare les eaux de l’Ouest et de Trúc Bạch. Tu t’y engages pour aller voir les pagodons du temple Trấn Quốc, histoire de psalmodier quelques prières. C’est que, tu ne sais jamais quand tu pourras revenir marcher dans les rues de Hà Nội, seul ou bien accompagné, et tu préfères jeter un souhait là où les flots s’étendent.  

C’est, tu penses, une confiante manière de clore ce chapitre.