dimanche 17 décembre 2017

Đi chơi ở Hà Nội #1


T’as mal aux cheveux. Tu te réveilles ensuqué, et il te faut quelques secondes pour te souvenir de la chambre où tu te trouves. Ah oui, Hà Nội. L’hôtel. La chambre aveugle, lit double, le robinet qui goutte. Tu regardes le réveil. Huit heures vingt. Courte nuit. Tu restes au lit quelques minutes encore. Faudra prendre une aspirine, mais là, sans bouger, ça va. Ça s’est vraiment bien passé hier. La salle n’était pas pleine, mais le public était chaud. Très bonne représentation, peut-être la meilleure. Et la dernière aussi. Et puis après, resto, fiesta, picole, picole, et un dernier verre ou deux encore, pas loin du lac de la Tortue, dans le quartier des 36, là où les bars ne ferment pas. T’es rentré en marchant de traviole, content, fourbu. T’as dû te dessaper vite fait, et boum, au pieu. Un sommeil sans rêve, et maintenant une bonne gueule de bois. La journée s’annonce bonne.

Tu te douches, eau chaude, eau froide, eau chaude, et ça atténue un peu le mal de bu. Tu t’habilles, et rassembles tes affaires. Un dernier tour de clef, et tu libères la chambre. Tu descends, la réceptionniste te reconnaît, tu demandes si tu peux laisser ton sac ici, tu reviendras le chercher vers midi, elle opine, et tu sors. Il fait beau, un peu frisquet. Tu as déjà mis ton appareil photo en bandoulière. Tu jettes un œil à la petite carte déjà froissée de la veille, pour reprendre tes repères. Tu es à un jet de pierre de la voie de chemin de fer, et la gare semble être un bon point de départ pour une errance diurne dans la ville. Au premier carrefour, tu t’arrêtes pour un café glacé, que tu avales en trois lampées.


La gare de Hà Nội, tu y étais déjà descendu. C’était il y a vingt ans, et tu venais de Chine, pour découvrir un Vietnam fantasmé, tout de chapeaux coniques portés par des filles en bicyclette, sur fond d’affiches de marteaux et faucilles. Tout juste débarqué du train, tu étais allé te perdre le long des larges rues qui mènent vers le fleuve rouge, et tu avais aimé ça. La clameur des vendeurs de rue, le vrombissement des motocyclettes, la langueur des vieux affalés sur les bancs publics, les eaux apaisantes des étangs. Tu étais resté quelques jours seulement, puis tu étais reparti. Il y avait d’autres pays en Asie qui attendaient ta venue.

Il y a plus de bruit maintenant. Plus de trafic, plus d’immeubles. Le soleil tape plus fort. Tu te dis qu’il faudrait peut-être te balader dans des coins moins exposés. Tu continues, toujours en longeant la voie, en quête du premier passage à niveau, vers la droite. Par-là, d’après ton plan, les quartiers semblent plus tortueux. Tu devrais pouvoir te perdre à nouveau.


Tu prends des photos, au gré de ta marche. Tu t’arrêtes souvent, finalement, pour guetter tes sujets. Ça prend du temps, d’être à l’affût, et discret, et poli aussi. Passée la rue Khâm Thiên, tu t’engages dans un lacis de venelles, ces ngô labyrinthiques qui tissent leur toile de voisinage en voisinage. Tu t’orientes comme tu peux, et tu demandes souvent ton chemin. Oui, il y a bien un lac par-là, le Văn Chương, avec ses pêcheurs et ses jets d’eau. Plus loin, c’est le vacarme de la circulation sur l’avenue Tôn Đức Thắng qui reprend ses droits, et tu fais un peu la gueule, rapport à ta lancinante migraine. Tu repiques vers le nord, car tu sais qu’il y a, un peu plus loin sur ta droite, le Temple de la Littérature qui, s’il sera probablement pris d’assaut par la gent estudiantine, offrira tout de même un répit à la cacophonie ambiante.

Dont acte. Toutes ses cours sont pleines. C’est jour de remise de diplôme et d’envolées de toques. Tuniques exigées, pour célébrations mandarinales. Tu te mêles à la foule des spectateurs attendris, et tu captures au passage deux ou trois portraits. 


Avec ça de pris, tu poursuis ta balade, toujours vers le nord. Le bric à brac des ngô laisse place nette au quartier des résidences coloniales. C’est cossu et cosy. Tu vois devant toi s’ouvrir la perspective de l’esplanade du Mausolée de Bác Hồ, que tu contournes. Tu lui as déjà offert tes condoléances la dernière fois, et tu le laisses en paix. Tu obliques à gauche, et, au jugé, tu t’enfiles dans une rue sinueuse, qui s’arrête net au portail d’un parc. Tu ne sais pas trop, dans ce coin bardé d’uniformes, si tu peux aller plus avant, mais tu avises une guérite où l’on vend des billets. Alors, pour quelques milliers de đồng, on te laisse pénétrer dans le Jardin Botanique. Là, les arbres sont très vieux et très hauts. Tu choisis un banc au bord de l’eau, omniprésente dans cette ville un brin lacustre, et tu laisses ton regard se poser longtemps sur les reflets qui changent. Ton ciboulot semble apprécier l’exercice. Tu fermes les yeux. Tu laisses couler.

Tu te souviens de ces moments passés alors. Au bord d’un autre lac, sûrement. Mais pas si loin d’ici. Elle voulait juste te faire découvrir sa ville, depuis le vieux centre jusqu’aux faubourgs campagnards. Elle conduisait sa Honda Cub prudemment, sans embardée ni coup de klaxon, louvoyant entre les bus et les cyclos. Elle avait bien aimé tes histoires sans queue ni tête, et aussi tes silences. Tes yeux ouverts et tes paupières fermées. Elle t’avait dit au revoir sur le quai, et vous êtes devenus étrangers de nouveau. Tu te souviens, c’est tout, et tu décides de te lever, de sortir de ce parc, et de revenir vers l’hôtel.

Tu te retrouves un peu plus loin à la croisée de Thụy Khuê et Thanh Niên, là où la digue sépare les eaux de l’Ouest et de Trúc Bạch. Tu t’y engages pour aller voir les pagodons du temple Trấn Quốc, histoire de psalmodier quelques prières. C’est que, tu ne sais jamais quand tu pourras revenir marcher dans les rues de Hà Nội, seul ou bien accompagné, et tu préfères jeter un souhait là où les flots s’étendent.  

C’est, tu penses, une confiante manière de clore ce chapitre.

Aucun commentaire: