vendredi 31 janvier 2025

Brushed night

Ça n'nuit à rien, d'vouloir s’amuser
À longues traces sur l’asphalte.
Soir d'esquisses, après l'basalte,
Moteurs, repos, clichés. 

Un certain folklore

Le littoral de la province de Phú Yên offre des contours remarquablement contrastés. Aux plages d’un sable granuleux qui s’étendent en droite ligne jusqu’à l’horizon, battus de formidables rouleaux, viennent prendre appui d’étranges contreforts rocheux qui rendent la navigation hasardeuse, adjointes en sus d’îles cisaillées sur un ciel bien changeant. Bref, c’est de la côte normande façon annamite, de la Cornouailles indochinoise, piégeuse et sauvage, qui vaut tous les détours. Pour preuve, cette dorsale érodée et abrupte qui se dresse à quelques encâblures du rivage rocailleux de Hòn Yến, dont les pêcheurs du village aux alentours eurent tôt fait d’en conjecturer l’origine. 
 
C’était il y a fort longtemps, bien sûr, au temps des tout premiers foyers et des premières lunes. Une jeune femme belle et jeune, bien sûr, vivait avec son mari – un marin lui aussi, bien sûr – dans une hutte un peu en retrait du reste du petit hameau. Lui devait partir chaque jour en mer, rapporter de quoi vendre ou vivre. Un jour, bien sûr, une terrible tempête éclata. Tandis que les autres embarcations revinrent saines et sauves, celle de son mari, bien sûr, ne revint pas. Refusant bien sûr de croire qu'il était mort, l'épouse éplorée grimpa chaque jour au sommet de la plus haute falaise. Elle y restait des heures, scrutant l'horizon, priant pour apercevoir la voile de son mari revenant au port. Les jours devinrent des semaines, les semaines des mois. Elle ne perdit jamais, bien sûr, espoir. Les villageois admiraient sa foi et son inébranlable dévotion. Finalement, épuisée par le chagrin et les éléments, elle mourut sur cette falaise. Les cieux, touchés bien sûr par sa loyauté et son amour profonds, la transformèrent en une grande pierre immuable, dressée pour l'éternité sur le bord du cap, attendant à jamais son époux. De là les milliers d’hirondelles qui commencèrent à nicher dans ses falaises – spirituelles messagères – appelant bien sûr encore la mer au secours de cet amour défunt.

Rondeaux et pipeaux

Au vu de ces formations basaltiques, nul doute qu’un bon griot trouverait matière à fabulation. Peut-être pourrait-il commencer de la sorte : Aux nuits de lune claire et sous la brise douce se révèle un paysage idyllique aux contours pittoresques. Séduites par cet idéal tableau, les voilà qui descendent sur terre, sans un soupir, toutes ces divinités qui occupent le Ciel. Elles viennent ici-bas partager ambroisie, discuter poésie. Ces êtres célestes apportent tout ce qu’il faut à leurs agapes paradisiaques : coupes d'or à foison et mille plateaux de jade pour ce festin festif. Vite enivrés par l'arôme du vin, ils se dissipent et finissent par s'aventurer vers d'autres sites splendides pour continuer à festoyer, s'absorbant tant dans leurs divertissements qu'ils en oublient leurs piles d'assiettes et de ciboires, qui finissent par se pétrifier avec le temps. Ainsi de ces prismes rocheux qui subissent le ressac, depuis toujours et pour l’éternité. 

Béate étude

Pour dépatouiller tout ça, il va nous falloir faire quelques pas chassés, trois en arrière, deux en avant peut-être, à moins qu’il ne faille progresser à cloche-pied. De la paroisse originelle, nous n’avons que de lointaines conjectures sur l’édification d’une chapelle à l’orée de la christianisation du Đại Việt, que l’on doit à la princesse Ngọc Liên, épouse du Commandeur de la garnison de Trấn Biên, fraîchement baptisée en 1636 par les premiers missionnaires portugais qui se signent à tout va. Cette zélote prend le nom de Marie-Madeleine et commence son travail d’évangélisation de la troupe et des paysans du cru, aidée peut-être en cela par les pères Francesco Buzomi et Francisco de Pina, qui s’expriment fort intelligiblement dans la langue gazouillante des Annamites. Le lieu prend de l’importance et fait sourciller les potentats locaux. L’un d’entre eux, le mandarin Ông Nghè Bô, voit d’un très mauvais œil la diffusion d’une doctrine miséricordieuse qui va a l’encontre des préceptes confucéens, et fait tout son possible pour chasser ces étrangers barbichus et tonsurés du territoire dont il a questure. À ce stade du récit apparaît un protagoniste dont il nous faut étayer un peu le portrait : issu d’une famille juive aragonaise ayant fui l’inquisition espagnole, le jeune Alexandre Rueda naît en Avignon au printemps 1591, fête ses 18 ans du côté de Rome en devenant Jésuite, montre très vite de fabuleux talents de polyglotte, et embarque depuis Lisbonne pour les Indes Orientales en 1618. À Goa il se morfond, tombe malade, et voit ses chances de partir au Japon fondre comme écume sur le sable. Il passe alors par Malacca, puis Macao, où la Compagnie de Jésus l’enjoint de se rendre en Cochinchine, dans le port de Tourane pour y assister Gaspar do Amaral, Antonio Barbosa, Christoforo Borri, Pedro Marquez et de Pina dans la transcription romanisée et phonétique de la langue vietnamienne. Il s’y colle avec grâce et publie, après de nombreuses années de labeur, le Dictionarium Annamiticum Lusitanum et Latinum en 1651, ouvrage qui inscrira son nom pour la postérité. Mais pour l’heure, en cet été 1644, Alexandre n’en mène pas large. Il est aux prises avec les autorités provinciales de Ran Ran, qui lui notifient sans ménagement le caractère non grata de son auguste personne. Qu’à cela ne tienne, il fait fi de ces remontrances et navigue en sous-marin, rend visite à quelques catéchistes persécutés, et, pour la peine, assiste au martyre d’un jeune fidèle, André de Phú Yên, dont il conservera la tête pour la transférer au Vatican. La région connaît de nombreux soubresauts dans les décades qui suivent, entre révoltes, contre-insurrections, mise au pas colonial et campagnes d’intimidation envers ces Chrétiens irréductibles du village de Hội Phú, qui entretiennent la mémoire du jeune André. La visite, en 1892, du prêtre Joseph Lacassagne, émissaire des Missions Etrangères de Paris, permet à la communauté de financer la construction d’une église, dans le plus pur style néogothique, qui abrite encore aujourd’hui de précieuses reliques, dont la première édition du Cathechismus in octo dies divisus, autre ouvrage majeur de monseigneur de Rhodes, lui aussi daté de 1651. De quoi pouvoir déchiffrer quelques belles oraisons en chữ quốc ngữ fleuri, bien qu’un peu desuet. 

jeudi 30 janvier 2025

S’y mettre

S’introduire à Tuy Hoa, contourner la colline et les crénelages de sa tour Cham, se diriger vers le front de mer, longer l’avenue de l’Indépendance, aboutir sur l’esplanade municipale et contempler les flûtes minérales de la tour Nghinh Phong. Prendre la première photo du périple, sous le ciel déjà obscur de cette soirée de reconnaissance.

mercredi 29 janvier 2025

祝蛇年到來!

Bien sûr qu’en cette année il sussure ses serments, ce Serpent-ci. Tout Chinois le sait : pour assurer sa sixième place au Panthéon des animaux du zodiaque asiatique, ce zozo s’immisce sur le sabot du Cheval, lequel traverse sans effort le large ruisseau céleste. Las ! dès l’onde passée, le reptile saute à terre, effraie son salvateur et serpente fissa vers sa réussite, tout satisfait de sa forfaiture. C'est un succès. On le juge alors apte à symboliser certaines qualités : sagesse, charme, intuition, enrobées d’une indéniable élégance. Pour qui sait persifler, c’est assurément juste ! Qu’on se le dise donc, c’est un Têt sans souci. C'est lui qui le dit...