Pour dépatouiller tout ça, il va nous falloir faire quelques pas chassés, trois en arrière, deux en avant peut-être, à moins qu’il ne faille progresser à cloche-pied. De la paroisse originelle, nous n’avons que de lointaines conjectures sur l’édification d’une chapelle à l’orée de la christianisation du Đại Việt, que l’on doit à la princesse Ngọc Liên, épouse du Commandeur de la garnison de Trấn Biên, fraîchement baptisée en 1636 par les premiers missionnaires portugais qui se signent à tout va. Cette zélote prend le nom de Marie-Madeleine et commence son travail d’évangélisation de la troupe et des paysans du cru, aidée peut-être en cela par les pères Francesco Buzomi et Francisco de Pina, qui s’expriment fort intelligiblement dans la langue gazouillante des Annamites. Le lieu prend de l’importance et fait sourciller les potentats locaux. L’un d’entre eux, le mandarin Ông Nghè Bô, voit d’un très mauvais œil la diffusion d’une doctrine miséricordieuse qui va a l’encontre des préceptes confucéens, et fait tout son possible pour chasser ces étrangers barbichus et tonsurés du territoire dont il a questure. À ce stade du récit apparaît un protagoniste dont il nous faut étayer un peu le portrait : issu d’une famille juive aragonaise ayant fui l’inquisition espagnole, le jeune Alexandre Rueda naît en Avignon au printemps 1591, fête ses 18 ans du côté de Rome en devenant Jésuite, montre très vite de fabuleux talents de polyglotte, et embarque depuis Lisbonne pour les Indes Orientales en 1618. À Goa il se morfond, tombe malade, et voit ses chances de partir au Japon fondre comme écume sur le sable. Il passe alors par Malacca, puis Macao, où la Compagnie de Jésus l’enjoint de se rendre en Cochinchine, dans le port de Tourane pour y assister Gaspar do Amaral, Antonio Barbosa, Christoforo Borri, Pedro Marquez et de Pina dans la transcription romanisée et phonétique de la langue vietnamienne. Il s’y colle avec grâce et publie, après de nombreuses années de labeur, le Dictionarium Annamiticum Lusitanum et Latinum en 1651, ouvrage qui inscrira son nom pour la postérité. Mais pour l’heure, en cet été 1644, Alexandre n’en mène pas large. Il est aux prises avec les autorités provinciales de Ran Ran, qui lui notifient sans ménagement le caractère non grata de son auguste personne. Qu’à cela ne tienne, il fait fi de ces remontrances et navigue en sous-marin, rend visite à quelques catéchistes persécutés, et, pour la peine, assiste au martyre d’un jeune fidèle, André de Phú Yên, dont il conservera la tête pour la transférer au Vatican. La région connaît de nombreux soubresauts dans les décades qui suivent, entre révoltes, contre-insurrections, mise au pas colonial et campagnes d’intimidation envers ces Chrétiens irréductibles du village de Hội Phú, qui entretiennent la mémoire du jeune André. La visite, en 1892, du prêtre Joseph Lacassagne, émissaire des Missions Etrangères de Paris, permet à la communauté de financer la construction d’une église, dans le plus pur style néogothique, qui abrite encore aujourd’hui de précieuses reliques, dont la première édition du Cathechismus in octo dies divisus, autre ouvrage majeur de monseigneur de Rhodes, lui aussi daté de 1651. De quoi pouvoir déchiffrer quelques belles oraisons en chữ quốc ngữ fleuri, bien qu’un peu desuet.
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