Le 14 juillet les ressortissants de nationalité française - où qu'ils soient - s'agglomèrent en parties fines où l'on serait bien en peine de ne pas trouver, parmi les convives rassemblés pour l'occasion, de ces mages droit sortis de l'imaginaire collectif qui ont dans leur besace qui une bouteille de vin rouge, qui un fromage fait, qui une terrine de foie de volaille. Et l'on célèbre ces agapes à coup de santé crié vers le ciel, lorsque l'ivresse n'en est qu'à ses débuts.
C'était un soir comme celui-là qu'il me fallait dire au-revoir à cette ville de Dalian, toute embrumée encore - je commence à la soupçonner d'une trop grande timidité à force de se farder de ce brouillard quotidien - et n'offrant plus alors que ses quais pour un embarquement prochain. J'avais encore fait mes bagages à la va-comme-je-te-pousse, entre l'aurore et l'aube, et j'attendais l'oeil presque clos, de pouvoir trouver un siège dans ce drôle de bateau qui allait m'amener de l'autre côté du détroit, dans un autre port du nom de Yen tai. Drôle de bateau parce que je ne sais plus comment nommer ces machines dont la coque ne touche presque plus l'eau à force de propulsion digne d'un aéronef. Et c'est bien d'un vrombissement de boeing qu'il s'agit lorsque l'engin file à toute allure, plus vite qu'un Jésus parcourant le cent mètre.
De Yen tai point de souvenirs, sinon celui d'un tricycle à moteur pris dés l'accostage pour se rendre à la gare routière où un bus pourrait me prendre jusqu'à Qing dao, - Ah, Tsing tao - but du voyage de ce jour.
Quelques trois heures de mauvais sommeil plus tard, premiers pas dans cette ville au nom si célèbre en Asie, et jusque sur les tables de tous les restaurants asiatiques de par le monde, de par sa bière brassée il y a bien longtemps par les colons germaniques, venus jusqu'ici pour ne pas laisser les Hollandais faire tout le traffic sous leur barbe. Qing dao parcouru en une seule et heureuse après midi d'une course éperdue, avec l'aide d'un guide tout attentionné pour me faire faire le tour le plus stakhanoviste de ce que la ville avait à offrir : places de la Chine moderne, de béton, de verre et d'acier, déjà vue maintes fois sous d'autres cieux chinois ; plages de sables où s'égaient la populace ; monuments cossus bâtis par les Teutons, à l'apogée de leur présence là voilà plus d'un siècle : palais de gouverneur mégalomane, caserne d'une soldatesque à la pierre martiale, demeures vastes et froides aux nombreux pignons chers aux riches coloniaux, église roide d'un protestantisme si éloigné de ses racines...
Crépuscule aidant, nous voici mon guide-ami et moi-même au restaurant avec quelques-uns de ses amis, et de son grand frère : repas de bière et de poissons - comme de bien entendu - où l'on convient à coup de verres cul-secs qu'on est les meilleurs camarades du monde. Et d'aller s'en jeter une autre encore, dans l'une de ces innombrables usines qui parsèment la ville, où le frère à de quoi faire encore aux heures tardives. Visite d'un atelier de confection, où des centaines de petites mains s'activent sous la lueur blafarde de néons qui ne s'éteignent peut-être jamais. Je pouvais à ce moment-là souhaiter prendre un peu de repos, car un train m'attendait en gare le lendemain à l'aube. Point trop n'en fallait, de ce repos-là, que je pouvais prendre en cours de route. Non, ce qu'il fallait pour clore les festivités du jour, c'était du chant et de la binouze. On s'en fut donc gaiement au karaoké pour brailler tous en coeur...

Je n'ai point manqué mon train du lendemain-à-l'aube, parce que j'avais à me rendre assez vite au centre du pays y voir une amie depuis longtemps perdue dans ces contrées-là. Le train s'ébranla à l'heure dite, bien tôt, et me laissa tout pantois à la fenêtre pour contempler l'oeil un peu vitreux Qing dao disparaître. Puis je m'en vins m'allonger sur ces couchettes dures qui sont le bonheur d'un voyage ferroviaire dans le pays chinois, parce qu'on peut s'y vautrer pour s'assoupir sans peine, sous la brise vrombissante d'un ventilateur anté-diluvien. Ce que je ne manquai pas de faire tout au long du trajet, une journée complète au rythme lancinant du tac-tac des trains de mon enfance.
Xi'an au petit matin, c'est encore une cohue bon-enfant. Je me faufile à travers les taxis en maraude, pour récupérer un bus plein comme un oeuf. Ce sera la dernière étape. Après cela, je serai arrivé, assez fourbu, pour poser mon barda.
Dalian 15 juillet - Xi'an 17 juillet