mercredi 22 mars 2006

A fair in HK


On ne risque plus d'atterrir à Hong Kong, on s'y pose. Une grande île artificielle sortie de l'eau faite pour cela. Et puis, sorti de l'aéronef un aéroport tentaculaire. De longs halls de verre, d'acier, de moquette. Une douane aux douaniers sévères et stricts. Une navette ferroviaire vous conduit de cet endroit vaste et horizontal, au travers de côtes montagneuses et de groupes de tours épars, de ponts audacieux, et d'un port infini, vers Central d'où tout commence.

La forêt de gratte-ciels a conquis les versants du Victoria Peak. Un taxi nous amène assez haut et nous dépose au seuil d'un vieil et humble immeuble, serti d'un parking à sa base et de deux ascenseurs, pour les étages pairs et impairs. On logera là, dans un appartement, au septième étage de la Yin Yee Mansion, 63 Robinson Road. Mieux que le meilleur des hôtels, un chez-soi pour quelques jours, pour s'approprier les lieux d'allers en retours incessants.


C'est haut. Le quartier est peuplé de cols blancs occidentaux, et de familles chinoises. Pour y monter et en descendre, la ville nous invite à prendre la plus longue série d'escaliers roulants qui soit. Ces escaliers-là descendent le matin et remontent dès midi. On prend vite le pli et la cadence. On hèle des taxis au passage, pour se rendre ici et là, parce que nous avons à faire. Hong Kong est un lieu où le monde a à faire. On s'y entasse en de somptueuses tours, en de crasseuses mansions, en métros et tramways, au tout venant. Le port est là qui distribue ses containers au gré des cargos, tandis que fourmillent les employés dans des bureaux secrets, dont les entrées se trouvent en haut des monte-charges. La ville circule sur autoponts, dans les tunnels et sur des routes sinueuses. Elle a poussé partout où cela lui semblait raisonnable, à en perdre raison.

Nous avons à faire, et ne perdons pas de temps. C. et M.-L. ont un catalogue à remettre à jour. Il leur faut rencontrer des fournisseurs de boîtes. Sans encombre, nous allons, de Mid-levels à Kwai Chung, de Kwai Chung à Kowloon City, de Tsim Sha Tsui à Lan Kwai Fong. On se fie à d'amusantes cartes de visite, pour explorer les faubourgs. Du matin au soir, nous regardons des boîtes, nous les soupesons, nous les jugeons et nous en imaginons d'autres, alors qu'autour de la table nos interlocuteurs papotent du cantonnais de cuisine.
P., lui, n'a pas trop de souci. Les boîtes, ce n'est pas son affaire, même s'il vient de temps en temps voir où en sont celles des autres. Alors il s'assoit avec nous et écoute, tranquillement, ces palabres de boîtes où se mêlent sabirs français, anglais, mandarin et cantonnais, dans une ambiance studieuse d'atelier de confection. Parfois, il s'endort, au milieu de négociations houleuses où l'on parle gros sous. Mais il est surtout là pour constater que ce monde-là existe. Que Hong Kong est davantage qu'une chimère asiatique, sortie de l'eau il n'y a que deux siècles.
Lorsque l'on rentre, la journée finie, dans notre rue de Robinson, nous nous attablons toujours un instant à la terrasse du Phoenix, « the last bar of Mid-levels escalator ». On y a nos habitudes. C'est une pinthe chacun, une demie pinthe pour les dames. La bière est brassée dans le coin, et elle est très british. Quelques cacahuètes pour assaisonner nos délires du moment, lorsque l'on confie ses impressions du jour. Hong Kong s'occupant de brasser les affaires, nous brassons avec elle nos conversations nocturnes.
De rendez-vous en rendez-vous, de show-rooms en bureaux, de taxis en ferries, nous conquérons la ville. Costumés, nous entrons dans ces tours où d'un geste sûr, nous pointons dans les ascenseurs les boutons des soixantièmes étages. C'est une escapade que P. apprécie : contempler le Victoria Harbour de haut, à travers ces fenêtres immenses et ces couloirs de marbre. Ça évoque bien sûr, de loin en loin, ces boîtes qui composent notre ordinaire.

Pour s'en défaire, rien de mieux qu'une excursion à Macao. Là, c'est du syncrétisme catholico-tao-casino sur fond de mer de Chine. Le sang écarlate n'y coule plus autant, mais on sent la sueur perler du front de ces joueurs barjots qui occupent les salons VIP du Lisboa Hotel. Bruit des jetons sur les feutrines, des exclamations de dépit ou de surprise, valse des croupiers aux petites heures de la nuit, passages discrets et froufroutants des balais sur la moquette usée d'un casino qui ne ferme jamais.
Mais l'enfer du jeu s'américanise : l'ambiance un peu sordide va faire place au strass que Vegas exporte à coup de grands complexes. On gagne sur la mer pour y bâtir de sublimes façades. Et l'on ne devrait pas se pencher trop avant pour voir l'envers du décor. Macao, pour le joueur, se parcourt de nuit, quand seule la brillance des néons permet de lire les cartes.


Pour moi ce sont d'autres retrouvailles. Ces sont des ruelles suintantes et des escaliers dérobés. C'est la couleur blafarde du jour et l'horizon encagé des immeubles chinois. Ce sont tous ces vieux compagnons philippins avec qui l'on partageait bières et pains fourrés à la sortie du service, avec pour décor la façade de São Paul et le Monte Fort. Et c'est aussi le calme de cette petite place aux confins de Coloane, avec ses vieilles arcades de stuc jaune et blanc, où l'on déguste à grandes tablées ces fruits de mer qui font la réputation du Nga Tim Cafe.


Excursion bien rapide avant de reprendre la tournée de Hong Kong. Les affaires reprennent, toutes réunies dans un même bâtiment. Tout ce que la planète compte de joailliers cosmopolites. C'est là, dans le Hong Kong Convention and Exhibition Centre, à Wanchai. C'est la foire : ici, des perles du Japon, là, les nouvelles collections italiennes. Plus haut, les bijoutiers de Dubaï se font concurrence tandis qu'en face, placides, les Coréens polissent leurs vitrines. On ne compte plus les étages, les halls, les escalators. On se cause à coup de grosses commandes. Tout ce monde joue au commerce avec le plus grand sérieux, sur fond de Victoria Harbour, pour parer les dames du monde de bijoux inclassables. M.-L. et C., sévères professionnelles, arpentent ces allées d'un pas preste et assuré. Elles ont dans l'œil l'acier et l'argent, et quelques fantaisies pour le fond de commerce. Elles visitent et commandent, commandent et visitent, d'une même cadence tranquille de qui sait quand s'arrête la journée. P. est là aussi, et compte et recompte dans sa tête l'ampleur des tractations. C'est que, des tables de baccarat de Macao au pierres précieuses qui changent de main à Hong Kong, on ne chiffre plus les sommes qui se jouent dans cette drôle de Chine qui n'en est pas encore une. On préfère d'ailleurs se dire à quoi bon. Et l'on rentre en taxi vers ces hauteurs huppées qui nous tiennent lieu de logis.


Pour finir, c'est à Canton que P. fait son baptême chinois. Piètre décalage, car la ville n'offre plus cette douceur de vivre coloniale que les Britanniques encensaient jusqu'à Londres.
C'est une cite d'autoroutes, de tours d'habitation, d'un grand fatras d'échoppes où l'on trouve de tout, au détour de vieux quartiers qui n'ont pas encore disparu. On descend au White Swan Hotel, au bord de la rivière des Perles. Moins prestigieux que le Peninsula de Hong Kong, il a vu tout de même quelques bonnes têtes y dormir pour une nuit de Chine, câline et cantonnaise. P. doit par contre se réveiller tôt, parce qu'il doit parler pinard avec un homme du cru, à quelques pas de là, dans un immeuble décati de la Shamian Dajie. Je l'y laisse en compagnie de C., qui tient à entendre aussi ce qu'il va se dire comme vérités vineuses à propos de cette Chine où l'on ne se fait pas encore aux usages du taste-vin. Plus tard on en causera, parce qu'on retiendra surtout que, pour peu que l'on présente bien, on peut tout vendre en Chine sans trop se faire duper.


Quoique.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

un plaisir de te lire et beaucoup d'envie d'y revenir

Dorian a dit…

Veinard ! Je me réjouis pour toi de toutes ces belles excursions. Je te félicite pour ta savoureuse et inimitable prose. Et je te remercie d'avoir si bien ravivé mes envies de voyages, que le confort campagnard tend à anesthésier... Quand est-ce que tu me fais visiter ?

Bécots