mardi 27 avril 2010

Chez ce cher Ignace

Ah, Loyola !
Celui par qui la Compagnie de Jésus, un beau jour de 1540, naquit pour essaimer de part le monde, en maniant si adroitement le Livre et le Sabre. Et que l'on retrouve ici, bien plus tard, en terre saigonnaise, dans ce havre caché derrière les hautes palissades de la rue Ton Duc Thang, un peu décatie, certes, mais si prégnante dans ces séminaires à l'usage du monde.
Très cher Ignace, vois donc ce que l'enseignement est devenu ! L'heure n'est plus aux conquêtes, mais à la concorde. Alors, de ces visages fixés dans la pierre, reconnais donc le chemin à parcourir : il faut marier le regard des évangélistes barbus à celui des glabres défenseurs de la fin de l'histoire. Et tout cela dans le confinement de ton université, oui, sise dans les murs de la congrégation Saint Joseph dont, certainement, tu n'as pu franchir le seuil.

Qu'à cela ne tienne, Ignace. On jésuitera encore, c'est sûr, à l'abri de ces arcades...

jeudi 22 avril 2010

Boutures de récit : la chute de Gia Dinh

1859.Sur la rivière Saigon, c'est la canonnade. Les frégates francaises s'engagent jusqu'au confluent de l'Arroyo chinois et toutes leurs bouches à feu fument entre deux détonations. La ville basse, aux bicoques de bois et de palmes, se consume pendant que la populace fuit de tous côtés, prisonnière des flammes et des coups de mitraille. La charge sera de courte durée, mais elle est sans merci. En quelques heures, la cité n'est plus qu'un champ de ruines. On entend encore, vers le Plateau, la clameur des assaillants qui ouvrent une brèche dans la petite citadelle de Gia Dinh. Bientôt, la place forte tombe, et l'obscurité enveloppe les derniers foyers de la bataille désormais achevée.
Un peu plus haut sur la rivière, c'est un soulagement. On psalmodie encore toutes sortes de prières, on invoque tous les génies du lieu, et l'on guette l'arrivée du silence. On s'affaire aussi, dehors, car il y a fort à faire : il faut soigner, bénir, enterrer, et se garder de crier victoire trop tôt. Tous ces missionnaires en soutanes légères accueillent les conquérants avec de grandes démonstrations d'amitié. Ils voient le sang sur les armes et les corps, et se hâtent d'expier tous ces pécheurs venus pour les sauver. Ils sont saufs, oui, mais ils ne sont pas saints. Ils savent qu'un chapitre de douleur vient de se terminer, et qu'il faudra du temps pour taire les rancunes.

1860. Les Marsouins, les fantassins, les portefaix, les ouvriers, tous pataugent pour édifier au plus vite les baraquements de la Caserne. Un peu plus bas, vers la rivière, les missionnaires aussi sont en plein chantier. Il faut bâtir pour effacer les traces encore visibles des combats de l'an passé. On cuit les briques qui, sitôt sorties des fours, viennent s'empiler en bâtisses moulurées de stuc.
Il y a là le couvent, le séminaire, la basilique, le dispensaire, les communs. Et tant pis si le goupillon et le glaive sont si proches : il faut bien se tenir les coudes, d'autant que la perfide Albion n'est pas bien loin, et que l'on craint toujours les canonnières britanniques.
Alors, de caserne en église, voilà que se dessinent les premiers bâtiments de Saigon, tandis que, plus à l'ouest, au-delà de la Plaine des Tombeaux, bruit toujours le bazar chinois, illuminé de ses lanternes et de ses nombreux charmes.

lundi 19 avril 2010

Urbi et orbi

Le terrestre, le céleste,
tour à tour prisonniers,
et ces passants si prestes,
qui ne font qu'ignorer
le monde, ce monde,
sous leur tête,
sur leurs pieds.


vendredi 16 avril 2010

Monolithisme

Encore une tour, direz-vous. Certes, encore une tour, une de celles qui se dressent dans le centre, et qui surplombe les monuments alentour.
Encore une tour, et encore une attraction : ce sont les yeux vers le ciel, cette tension de la nuque, cette vision en travelling, qui monte et monte encore.
Encore une tour, saisie la nuit, bleu un peu roi et gris pas vraiment souris.
A la réflexion, peut-être même qu'il y a encore une tour, une autre, cachée derrière la première ?

jeudi 1 avril 2010

Le bout du toit

Vous savez, c'est cette heure qu'on appelle creuse. Celle qui, c'est certain, doit se trouver vers le milieu du cadran, quand on ne parvient pas à dormir et que l'on cherche les aiguilles dans le noir. C'est à cette heure-là, donc, que nous nous trouvons sur ce toit, seuls, et que devant nous brillent les mille lueurs de la ville. Et l'on peut prendre le temps de les compter, parce que, étrangement, le paysage est immobile, absolument inerte, même lorsque l'on fait un pas de plus vers le bord. Rien ne bouge, rien ne clignote, tout est figé.
C'est le creux de l'heure, et rien ne se passe.
On se contente de compter.
Il y en a tant, devant nous.
Des lumières.