Journal du marchand Pieterszoon – Malacca, 1642
En cette année 1642, après avoir abattu la forteresse A Famosa, nous avons repris les rênes du commerce dans le Détroit. J’ai ainsi pu prendre demeure dans la maison d’un riche négociant portugais, qui, dans sa fuite, a laissé de nombreux coffres scellés. Dans l’un d’eux, j’ai trouvé ceci : c’est, je le crois, une traduction latine d’un texte plus ancien, en Malais ou en Sanskrit. Et, si ma mémoire ne me fait pas défaut, il est possible que ce soit de la main de Parameswara lui-même, le soit disant descendant du grand Alexandre, qui vint s’échouer ici il y a plus de deux siècles. En voici la teneur :

Assez ! Assez de ces errances, de ces conquêtes, de ces terres gagnées, perdues, de ces honneurs factices, de ces titres frivoles. Assez de ces pillages, de ces abordages hasardeux au gré des vents et des pavillons. Je ne veux plus de ces vigies, de ces mouillages sur tous les cailloux du Détroit. Je veux un port, une amarre solide, et du commerce profitable. Je veux régner sur une terre aussi portée sur les richesses maritimes que
Singapura Lama. Ah ! Maudits soient tous ces descendants de
Singhasari, ces bouseux à la peau noire, ces singes venus du sud ! Comment ont-ils pu usurper notre pouvoir, à nous autres
Srivijaya, et nous pousser à l’eau, encore, à nous rendre pirates, encore !

Raja j’ai été, Raja je serai de nouveau, aussi loin que portera mon regard, depuis l’horizon des mers indiennes jusqu’au sommet des collines forestières. Et ce morceau de côte, je le disputerai toujours aux barbares incessants, qu’ils viennent du sud ou bien du nord, qu’ils soient simiesques ou majestueux. J’ai trouvé aujourd’hui le nom de ma capitale future. Il m’a été donné de la plus étrange façon, par l’acte d’un animal : c’est un de ces chevrotains que l’on chasse parfois et qui, acculé, devant la meute, a réussi par sa bravoure à jeter à l’eau l’un de mes meilleurs chiens. J’étais là. J’ai vu ce frêle animal lutter pour sa survie, comme je le suis moi-même, fragile maintenant car manquant d’appui. Et je réussirai aussi, comme lui, à bouter l’ennemi, et à restaurer notre lignée. C’est décidé : ce mien territoire portera le nom de Melaka, comme l’arbre sur lequel j’ai assisté à cette scène auspicieuse. Et je ferai de cette terre fertile un comptoir florissant.