On resitue. C’est donc du sable, de la marne, de la caillasse et du calcaire grossier sous les pieds. On en a fait des carrières, qui, sous Napoléon le troisième, sont devenues jardins. Mais, bien avant, le lieu faisait pente douce à côté d’un village, celui de Chaillot, défendu alors par un petit château qui dominait ce méandre de la rivière, dont les contours suivaient les murs du Couvent des Visitandines. On peut se figurer un verger, un maraîchage, sur ce versant argileux qui descend vers la Seine. Quand ? À la louche, vers 1760, mais on peut être large.
Par la suite, on ratiboise. Ça tombe bien, le couvent est détruit en 1794, rétrocédé à l’état, qui ne sait trop quoi faire de ces ruines fumantes. Ça tergiverse, ça laisse en pâture. On pense à édifier un palais, un ensemble de villas, mais rien de concret ne sort de terre. Pendant ce temps, on guerroie un peu partout, de l’Espagne à la Prusse pour faire provision d’une jolie réserve de victoires aux appellations exotiques qu’on accolera ici et là aux ouvrages d’architectures, fussent-ils monarchiques ou républicains. Tenez, cette grosse meringue qu’on finit par édifier en 1877 sur ce site en jachère ? Nommons-le en l’honneur de la forteresse de Cadix, tombée à l’issue d’une bataille épique. Trocadéro, ça sonne bien, ça fait un peu toréador, ombrageux et solaire en même temps. Et ce pont qui enjambe enfin la Seine, courant 1813 : Le Pont d’Iéna ! Ça évoque les plaines franconiennes, l’humus, la tourbe et les morts à foison ; et puis ça fait raccord avec ce Champs de Mars, cette esplanade morose où se succèdent les parades fanfaronnes devant la nouvelle Ecole Militaire.
Et ce terrain tout plat, encadré pâté par pâté d’immeubles de rapports aux jolies proportions, témoin de toutes les fantaisies bellicistes durant deux empires finit par devenir, par un heureux concours de circonstances, l’épicentre du progressisme. On y expose tout l’univers – colonies comprises – à plusieurs reprises, quasiment à chaque décade de 1867 à 1900, et son agencement tout à l’horizontal change un brin lors de l’érection phénoménale de la Dame de Fer, début 1887.
En 1889 c’est la consécration. Jamais rivets et poutrelles d’acier ne sont allés titiller le ciel à cette altitude-là. On se presse, on conspue, on s’extasie, on en tombe des nues. À tel point d’ailleurs que cet enchevêtrement d’éléments métalliques, promis à un démantèlement dans les règles, obtiendra rémission.
On le garde.
On en prend garde.
Et nous, en ce matin de juillet 2022, malgré le sable et la marne sous nos pieds, nous en mesurons, de loin, la haute stature, pour attaquer plus avant une ascension marche après marche du pilier Nord-Ouest, jusqu’au deuxième étage.
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