mardi 19 juillet 2022

Versailles Chantier - Non desservi

Il n’y a pas plus magistral cas d’école que celui de Versailles. Cas d’absolu, cas d’abstraction, cas d’abdication face aux contraintes du réel. Et surtout, illustration prodigieuse du second principe de la thermodynamique appliqué à un régime qui fut défini comme de droit divin, exonéré donc des sujétions matérielles de notre bas monde.   

Oui, posé là, comme ça, ça a l’air un peu abscons. Etayons donc le propos, et revenons en arrière.
C’est parce que le premier monarque à en faire usage était agoraphobe et pris de soudaines crises de mysticisme que ce petit pavillon de chasse, sis au sommet du plateau de Versailles devint un lieu prisé. Louis XIII participe d’ailleurs personnellement à l’édification de cette bicoque. Rien que de très banal : un plan rectangulaire entouré de fossés, un corps de logis en brique, une cour et une porte cochère du plus bel effet. C’est charmant. Les battues sont sublimes, le gibier abondant. L’esprit reste féodal, rustique, terre à terre et bon enfant. Mais le « chestif chasteau », des 1630, a les crocs. Il lui faut plus de domaines, plus de sentiers, plus de courre. Et plus de prestance. Alors on agrandit, on décore, on flamboie. Mais Louis XIII n’est pas éternel, et son jeune successeur est encore bien trop bleu. Sous régence de Mazarin, on laisse le lierre pousser. Rien ne sert de s’encombrer d’une dépendance bien trop forestière et trop loin des centres du pouvoir. Ce n’est qu’en 1660 que Louis XIV, alors à ses seize bougies, manifeste un intérêt certain à la rempoignade du domaine jusque-là en déshérence. Le gamin a d’abord la main verte : ce sont les vergers et les parterres qui l’occupe. Et puis forcément, parce qu’il fonde famille, il lui faut des pièces en plus. Alors, on élargit, on construit des appartements, on élague, on fait place nette. Ça fait de l’ombre au Louvre, jugé trop engoncé. S’ensuit ménagerie, orangerie, expansion du petit château doté dorénavant d’ailes enveloppées de belles pierres. De lieu de villégiature, la demeure palatiale se transforme en siège du pouvoir, au grand dam d’une courtisanerie peu au fait des us pastoraux de ces faubourgs sylvestres. Qu’importe, on emporte trousseaux, perruques, parfums, poudres et toutes les panoplies pour faire bonne figure sous ces dorures omnipotentes. Le Roi n’en reste pas là, il veut un ordonnancement qui sied à sa stature astrale : au-dehors, jardins, canaux, statues ; au-dedans, salons en enfilade, galerie de miroirs, chambres, antichambres, antichambres d’antichambres. Ce jeu d’expansion, les Louis consécutifs et légataires en sont également de fervents amateurs, bien que leurs contributions se montrent plus modestes.

Mais voilà, ce bel arrangement, ces allées arborées tirées au cordeau, ces corps de bâtiment étirés jusqu’au point d’horizon, ces pièces parquetées tendues de mille brocards, tout cela finit par chiffrer. En espèces, certes, mais aussi en propriétés physiques. Surtout – si nous poursuivons ce raisonnement passablement alambiqué – en entropie. C’est qu’à mesure que se concentre dans les appartements du Souverain un système drainant de si larges ressources à son seul privilège, se produit en retour une demande toujours plus grande d’énergie nécessaire à la perduration dudit système. Et toute cette énergie – ce travail des hommes, des bêtes et des choses – finit toujours par se dissiper, se déliter, se dilapider aux entournures. Ça frémit aux franges du pays. Ça n’obéit plus. Le détricotage se propage, s’encourage. Des collectes on ne retire plus rien. Des violences on se rebiffe. Bientôt on se révolte.  
Ainsi s’évanouit, s’évapore un Pouvoir, si vite remplacé par un autre qui élit domicile ailleurs.

Les pierres et les arbres de Versailles sont encore là. 


Ils conservent une majesté certaine, mais nous avons trouvé depuis d’autres sources d’énergie pour les neutraliser.

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