jeudi 22 mai 2025

Ein Wiener Streifzug

Avant d’y gambader pour quelques heures, il vaut mieux convoquer ses souvenirs de lecture. Le premier qui vient à l’esprit, c’est John Irving qui fait dire à son Garp, selon le Monde dudit, que « [c’] était une ville qui traitait le passé et le présent avec un égal sérieux ; c'était un endroit où les fantômes étaient respectés. » Ou encore Joseph Roth, dans La Marche de Radetzky, pour qui Vienne « sonnait comme une promesse de bonheur. Là-bas, dans la capitale, se trouvait l'Empereur, la source de toute grâce et de toute justice. De là venaient les ordres de l'armée, les décrets, les nominations et les promotions. Là-bas, dans les ministères, siégeaient les conseillers auliques, ces demi-dieux omniscients. Là-bas, c'était le centre du monde. » Plus communément, ce que Frederic Morton note à propos de « la Ringstrasse [qui] était bien plus qu'un boulevard. C'était la scène où se jouait le drame de la modernité viennoise. [...] C'était un théâtre permanent où l'on venait se montrer, dans ses plus beaux attelages et ses plus élégantes toilettes, où l'on venait voir et être vu, où le bourgeois triomphant exhibait sa richesse nouvellement acquise en imitant l'aristocrate. » - in Un frisson d'éternité : Vienne 1888-1889.
Trois citations – on fait dans le concis – qui plantent le décor. Une capitale d’empire éternelle, confite de monumental, imposante et martiale, tout à la fois décadente et d’avant-garde, et dont le plan concentrique rassure celui qui veut y poser le pied. 

D’emblée, donc, au sortir de la gare, sur la Landstraßer Hauptstraße, on distingue tout de suite les canopées du Stadtpark dans lequel on batifole un instant, pour ensuite longer le boulevard Schubertring jusqu’à la Schwarzenbergplatz. Cette mise en jambe permet de prendre la mesure de l’urbain. Les bâtiments sont larges, opulents, sévères, tous tirés au cordeau. Hautes fenêtres, frontons et frontispices, moulures et corniches de circonstance, façades de couleurs pastel. Au sol, trottoirs goudronnés, bitume entaillé d’aiguillages, parterres de buissons touffus. Les tramways roulent en crissant de concert, au milieu des berlines grises et noires. On fait un crochet par la Bösendorferstraße, le temps d’une sonate, avant de retrouver l’Opernring et l’édifice néo-renaissance du Wiener Staatsballett. On se figure quelques ballerines sautillant aux premières notes de l’An der schönen blauen Donau, à moins qu’elles ne valsent sur Die Schönbrunner. Plus loin, on parcourt les allées du Burggarten jusqu’au Hofburg que l’on contourne par la droite. À partir de là, le parcours devient plus abstrus. Ce sont des cours intérieures, d’un côté comme de l’autre, qui se découvrent au détour de vestibules voûtés. On opte pour le sinistre, à travers le Schweizerhof pour sortir sur l’Innerer Burghof, et se faufiler vers la Michaelerplatz. Complètement désorienté, on prend au hasard des rues la Schauflergaße qui nous ramène au Volksgarten. L’Äußeres Burgtor est en vue, qui s’avère un abri bienvenu alors qu’un crachin s’abat sur la ville déjà rincée. La fringale de pompe viennoise passablement rassasiée, on peut franchir la Maria-Theresien-Platz, apprécier tout de même l’allure du Volkstheater un peu plus loin et, par la Burggaße se glisser dans des quartiers plus populaires. Les perspectives enfin s’amenuisent. Les rues rétrécissent mais demeurent cossues. Des venelles pavées reluisent de part et d’autre, s’ouvrant sur des quartiers bohèmes aux bicoques mignonnes. On navigue à vue, attiré par le premier clocheton, la jolie façade, la courette escamotée. On en perd une fois de plus son sens d’orientation – en cause, cette configuration centripète de l’Innere Stadt –, c’est avec soulagement que l’on retrouve ces lignes électriques arrimées aux murs, signe de la présence de ces tramways qui vont et viennent du centre à la périphérie. De retour donc vers le cœur historique, on ne peut manquer la flamboyance néo-gothique de la Votivkirche, qui élance ses flèches juste en face du jardin Sigmund Freud. S’ensuit une déambulation décousue, pleine de virevoltes et de revirements, qui nous emmène de l’église Saint Michel à celle de Saint Pierre, puis, bien sûr à la Cathédrale Saint Stéphane. On s’y repose un temps, le temps de s’égoutter, de psalmodier quelques pensées adressées aux cieux et à ceux qui l’occupent, avant de trouver enfin une brasserie, un comptoir, une bonne pinte d’Ottakringer, de Schladminger ou de Stiegl Goldbräu. Ragaillardi, on peut enfin étouffer un rot de contentement, conclure d’un « Danke für diese wundervolle Reise », retourner en godille à la station des trains express qui filent vers l’aéroport international pour s’envoler vers l’Orient. 

On nous y attend.

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