mercredi 31 août 2005

Lyon, donc.

Du retour en France, de ce retour en tranches de globe parcourues contre la montre, je garde de belles images, de ces instants volés à un mauvais sommeil, un peu voilés par de si lourdes paupières. C’est d’abord une fuite de la capitale chinoise, encore embrumée aux abords de l’aube, encore si faussement calme aux matines du jour. D’une navette qui se conduit d’elle même à l’aéoroport, où m’attendent ces cohortes de guides si zélés que cela me tire un instant de mes premières torpeurs (c’est aussi, pour avoir à le préciser, que je n’ai pas encore dormi, depuis bientôt une trentaine d’heures). Mon mandarin s’étant considérablement rodé à ce type d’accueil, je me faufile entre les guichets, je glisse mes meilleurs raccourcis de faux sinologue, et je me retrouve bien vite à embarquer. Je me fais alors grâce du décollage, pour ne me réveiller que quelques heures plus tard, lorsque d’une voix scandisuave on nous annonce une descente dans les pluies de Finlande.
Brève escale à Helsinki-Vantaa, aérodrôme des forêts sans limites, propre comme un sou neuf, où l’on ne fume ni ne boit que par parcimonie dans ce décor épuré. J’y regarde un ciel bien lourd : une palette de gris bien plus riche que tous les ciels laiteux des grandes métropoles chinoises. J’y renifle un air plus polaire aussi, plus léger et incommensurablement plus sec. Je regarde ces familles de quatre têtes blondes. J’embarque encore, de manière plus furtive. Là, c’est un aéronef de taille plus réduite, au fuselage plus oblong. Il perce ces couches de nuages pour retrouver le bleu. Et ce bleu ne nous quittera plus, il tombera de trente mille pied jusqu’à terre, pour nous laisser contempler les terres brunes du Danemark, de l’Allemagne et de la France. On s’imaginerai presque voir la courbe de la planète. On nous apprend une belle arrivée dans l’azur parisien ; et, foi d’aiguilleur occasionnel de nombreux cieux orientaux, je n’ai jamais vu la capitale de cette hauteur là, avec autant d’acuité. C’est à peine si l’on pouvait lire les plaques de ses larges avenues.
Puis le sol a forcé l’appareil à se poser ; l’invite du bitume et le débarquement ; une douane inexistante ; un RER bien vide ; des couloirs de métro aux écailles bien connues ; une Gare de Lyon où ne se pressent que quelques bagages épars, quand la nuit est tombée ; un TGV aux passagers dispersés et somnolents ; Perrache, enfin, à minuit sonnante, où l’on court sur le quai pour embrasser Yen, Yen qui est là pour m’embrasser aussi. On rentre à pied d’un pas léger pour se conter nos aventures. Et l’on dort bien peu parce qu’on en a de ces mots que les regards enveloppent. Lyon, donc. Lyon, donc, où l’on séjournera pour un mois de septembre bien chargé...

lundi 29 août 2005

La barbe !

D'une face à l'autre, d'un soir au matin.




dimanche 28 août 2005

Thé au beurre

Prenez un Yak.


Faites-en du beurre.


Faites bouillir de l’eau. Ebouillantez la théière.

Prenez une mesure de thé noir, versez l’eau et le beurre.

Attendez la fonte et buvez chaud.


Contemplez les plateaux du Tibet si proche...

samedi 27 août 2005

Da Fo

Haitong devait être fou. Un moine fou, dans l'histoire du Bouddhisme, ça ne manque pas. Ce qu'ils laissent après eux se retrouvent parfois. Lui, Haitong, voulait bâtir une statue de Bouddha à la mesure de sa foi et des périls des eaux qui noyaient souvent les passeurs d'alors. Il fit engager des ouvriers, leva des fonds, et se mit à l'oeuvre. 90 ans plus tard (on est en 793 ap. JC), voilà la falaise rognée, scupltée, mise à l'épreuve de sa foi à elle aussi.








Il faut croire que cela a marché. Nous sommes bien plus tard, bien moins pieux, mais le Bouddha d'ici veille, aux abords de Le shan. Le Sichuan semble une terre davantage promise à présent.

Quand au Tibet, on s'en approche !







En passant par Chongqing

C'était, il y a encore quelques années, une ville. Une ville pauvre et industrielle, qui vivait au gré des courants du Yangzi et de la Jialing. Ville de confluence aussi, entre les hautes terres du Sichuan et la plaine qui s'étendaient par delà les trois gorges.

Ce n'est plus une ville : c'est devenu une autre expression de l'entassement urbain, faisant fi des distances, des reliefs, de la densité qu'on peut concentrer aux bords des rivières (Chongqing agglomération : 32 millions d'habitants). C'est - en un sens - un lieu chinois en soi : un très bon exemple de la métropole de l'Empire. Tout cela parce que, il y de cela 8 ans, le gouvernement central - celui de là-haut, de Pékin - a décidé de développer un pôle d'attraction qui entraînerait les provinces alentour dans la pente du mieux-vivre. Il a donc tranché dans les frontières, extrait Chongqing de la province du Sichuan pour en faire la capitale d'une province qui porterait son nom, et arrosé d'autant de tonnes de béton que de subventions.


Le résultat est là.
J'aime et je n'aime pas Chongqing - ambivalence souvent éprouvée sur ces terres-là - mais j'y vis de journées denses et brumeuses. Je préfère tout de même m'en séparer vite, de peur de s'y trouver englué.

Allons !, remontons les courants, c'est le Tibet là-bas.

dimanche 14 août 2005

Xi'an deux minutes d'arrêt

Départ imminent pour d'autres cieux : train 2334 pour Chongqing, quelques quinze heures de trajet sur un siège bien peu mou. Aya, encore l'un de ces petits voyages dont le souvenir sera agréable. D'ici là, je prends un dernier repos à la maison avant de sauter dans un bus pour aller à la gare.

Serai donc absent une dizaine de jours. Au menu, Chongqing et Chendu, dans le Sichuan. De quoi rehausser de piment la fin du séjour dans l'Empire.

Rapport à faire sitôt rentré, aux alentours du 24.

Toujours plus au sud...

Sise à une centaine de kilomètre au sud de la capitale de la province du Shanxi, la petite bourgade de Pingyao surprend. Enfin, c'est un étonnement mêlé d'une certaine circonspection, parce qu'à voir toute cette vieille Chine - un peu trop bien préservée, peut être, pour attirer le touriste friand de représentations authentiques - on se prend au jeu tout en admettant la duplicité de la fabrique. Bah, peu importe !, car Pingyao recèle de bien étranges et merveilleux sites historiques.

C'est une petite ville autrefois si prospère qu'elle était le refuge de ces sociétés d'art martiaux qui vendaient leurs services au plus offrant pour garantir à d'opulentes cargaisons un passage sauf à travers la province. On y trouve de ces fastueuses maison de banquiers, toutes minérales, ordonnancée de cours successives où ne pénétraient que les plus riches invités. Plusieurs corps de bâtiments en forment les compartiments, surplombés de lourds toits incurvés de tuiles grises.

Ces maisons ont été réaménagées en pensions, hôtels, musées, boutiques, tout ce que le négoce du tourisme sait si bien mettre en place.


Pingyao, c'est encore une ville ceinte. Pas comme Xi'an et ses murailles cyclopéennes, non, mais comme une Carcassonne extrême-orientale, toute faussement médiévale et pourtant si évocatrice d'une Chine désormais disparue.

Se rendre à Lijiang, - au Yunnan - peut être, pour y admirer de semblables ruelles pavées, ces toits ornementés de dragons, cet air de Chine mandarinale.

samedi 13 août 2005

Mont aux cinq terrasses

Nous voilà, après plusieurs heures de bus, à Wutai shan, haut lieu du Bouddhisme chinois. C'est l'une des quatre montagnes sacrées de la Chine bouddhiste ; et de faire halte ici, pour un pèlerin - qu'il soit Chinois ou Tibétain - est une étape importante sur la voie d'un certain accomplissement. Pour notre part, c'est une traversée dans la brume ; celle, opaque, des cols à travers lesquels notre moyen de transport circule ; l'autre, mystérieuse, qui nous confronte à nos propres croyances. C'est que le Bouddhisme est d'une perméabilité toute indienne, tout en détour sur ce que le Croyant, ou le Païen, pense connaître de lui-même et du rapport qu'il entretient, de proche ne proche ou de loin en loin, avec les rites qu'il a appris a reconnaître.



On en est là, à grimper de formidables escaliers qui, six cents mètres plus haut nous délivre une vue sur une bien sainte vallée : c'est la petite ville de Taihuai où s'amoncellent les monastères, palier par palier, jusqu'à mi-pente. Plus loin, et plus haut, ce sont les sommets - les cinq terrasses - qui ont par le passé barré l'accès à ce lieu secret. Heureusement, d'ailleurs, car sans cela, les Gardes Rouges auraient pillé sans vergogne l'endroit pour n'en laisser que l'envers, et ce lieu de pélerinage n'aurait plus été que la ruine d'un culte qui revit à nouveau.

Qui revit aussi par cet attrait bien nouveau du tourisme à la chinoise ; on connaît cela par Lourdes sous nos latitudes. C'est ici le même dévoiement, un peu bon enfant, un peu canaille... et ce ne sont pas les moines qui, sous le pourpre de leurs habits, viendraient me contredire.

Je ne m'étendrai pas trop sur la succession des temples et sur leurs cultes respectifs. Je vous laisse juge, cher lecteur, au vu de quelques clichés pris à la va-vite, parce que l'appareil photo n'a que peu de place dans de tels lieux.






Solives et madriers

On la voit de loin, dans la plaine écrasée de chaleur. Elle pointe ses corniches octogonales en autant de pointes acérés qui picorent l'horizon alentour. On se rapproche, un peu craintif, devant ce monument. C'est une si vieille pagode. Toujours debout, malgré un tremblement de terre, il y a quelques années, qui a menacé tout l'édifice. Des artisans sont alors intervenus et ont repris les anciens gestes d'assemblages des pieces et des coins de bois. Car on ne badine pas avec l'imbrication, ici. C'est de bois, et de bois seulement qu'il s'agit. Le reste, des clous ! Point de ces petites punaises au métal trop aisément corrodé.

Vieille pagode - Mu Ta - qui, avec sa centaine de mètres de haut, est probablement la plus élévée des constructions en bois. Il faudrait se rendre à Nara, au Japon, pour trouver un autre édifice de cette démesure.

Quelques heures à se trouver écrasé devant cela, avant de repartir.


Sur la route


La route : ce fil ténu qui assure la continuité d'un parcours. Ce ruban qui se déroule à sa propre cadence, qu'on veuille se presser ou ralentir l'allure. Une ligne sur une carte. Un rail, une voie, peut être.
La route nous faisait descendre le Shanxi. Du Shanxi au Shaanxi - c'est le "a" du pas à pas - et nous descendions la province avec, comme étapes, des monastères, des pagodes, des monts sacrés où l'on prie la vie qui passe.
La route s'étirait dans "la Chine du loess", celle, burinée, érodée, qui s'étend des steppes mongoles aux abords du Fleuve Jaune, là où, jadis, la plaine acceuillait le berceau de l'Empire, en sa capitale, Chang'An, aujourd'hui disparue sous les limons du temps.

Suspendu

Xuankong Si, le monastère suspendu, apparaît au détour d'une route montagneuse qui serpente dans les gorges du Jinlong. Plaqué contre la paroi rocheuse, comme en surimpression sur la pierre ocre de la falaise, il donne cette impression un peu mythique que l'on éprouve à la vue d'un spectacle extra-ordinaire. C'est de la Chine ancienne dont on parle, celle des moines itinérants, des ermites, des dynasties qui se succèdent comme de lointaines syllabes Song, Yuan ou Tang. Ce monastère-là a dressé ses fragiles piliers il y a 1400 ans et il contemple, toujours vaillant, le cours tumultueux du Jilong qui coule en contrebas.



Il est, aujourd'hui, pris d'assaut, et c'est miracle si il tient encore contre sa fidèle paroi. Hordes de touristes aux pieds lourds y font une courte visite, histoire d'éprouver les frêles corridors qui joignent ensemble les pavillons. On se presse encore, tantôt hardi, tantôt tremblant sous les coups du vertige, on joue des coudes, on s'extasie. Il y a bien sûr de quoi. Mais le site va à coup sûr en pâtir un jour. Alors on regardera le monastère de loin, d'en bas, comme aux temps anciens où ne s'y reposaient que ces moines fameux qui couraient les routes pour transmettre leurs prières.

Fo


Le pèlerinage qui conduisit de fameux moines chinois des terres arides de la Chine du nord au berceau du bouddhisme par delà les montagnes de l'Himalaya était - j'imagine - de ceux dont on revient illuminé.
On trouve encore, de l'autel votif planqué dans un coin, à la plus monumentale statue d'un Maitreya, cette curieuse façon qu'a eu le Bouddhisme de se glisser entre les interstices de toutes croyances pour en réhausser la pratique : on peut s'amuser de ce sourire mi-serein, mi-goguenard du Bouddha qui se joue bien de l'orthodoxie. Qu'en a-t-il à faire, lorsque des moines éclairés portent son enseignement aux confins des Empires, sans pour autant bousculer ce qui tenait lieu de rites et de liturgie ? Il n'a pas à convaincre de la rédemption de fautes commises, ni de la crainte d'un jugement infernal. Il est assis dans la pierre, depuis bien longtemps, et ce sourire témoigne de ce détachement devant l'aridité des cultes.


Ceux que nous avons vus aux abords de Datong étaient là depuis bien longtemps, dans leurs cavités des Grottes de la Crête nuageuse (Yungang Shiku). Ils sont en tout plus de cinquante mille, des minuscules Boddhisatvas aux figures énormes et tutélaires du Bouddhisme Mahayana, et défient le vent et la pluie depuis quatorze siècles. Certains d'entre eux ont ainsi perdu face et profil, rongés par ce climat rude du plateau de la Mongolie Intérieure. D'autres sont encore rutilants, exhibant dans ce geste délicat de l'avant bras et du poignet, des formes et des couleurs inaltérées.

Le tourisme de masse est bien sûr parvenu jusqu'ici (il nous poursuivra d'ailleurs tout au long de la route, car nos étapes sont dors et déjà inscrites au panthéon des choses-à-voir-et-à-faire-en-Chine) et c'est avec un sentiment mi-amusé mi-désabusé que l'on assiste à la cohue des groupes et des familles qui se pressent au pied de ces sages statues pour, vite, tirer un portrait et s'interroger sur l'âge de ces vieilles pierres auquel on ne prête plus qu'une déférence un peu forcée.




jeudi 4 août 2005

Sur un nouveau départ.

Encore une liaison ferroviaire qui va me prendre la nuit. Départ tout à l'heure pour Da Tong, dans la province du Shanxi, pour un petit tour dans des contrées plus reculées, plus arides et désertiques. De quoi, peut être, apercevoir un bout de muraille de Chine perdu dans les dunes, à moins que le sable ait déjà tout recouvert.

Départ tout à l'heure pour quelques jours pendant lesquels point de consigne : on va en faire à sa tête, on va absorber un peu de pays, on tentera plus tard de témoigner, le moins mal possible, de ce qui a été fait.
D'ici là, joyeuses chaleurs estivales !!!

mardi 2 août 2005

Bingmayong


On peut conjecturer sur les circonstances exactes de l'événement, d'autant plus que les sources sont rares. On peut aussi - alors - tenter de remplir les blancs par un petit recours à l'imaginaire.

Il faisait certainement très chaud, cet été-là. On avait planté ce qu'il fallait de maïs et de blé, mais on était inquiet pour les récoltes futures. C'est que, même si on nous avait longtemps sermonné sur la valeur du travail au champs, sur le rôle essentiel du paysan, on nous laissait bien tranquille dés que l'effort ou le doute se faisait trop lourd à porter. On était en 1974 - Mao mourrait dans les deux ans, fin de règne du Père sénile mais encore dangereux - et le pays se remettait sur les rails de la normalité économique et sociale. Deng Xiao Ping venait de prendre les commandes et tentait de rassurer : on en avait besoin, après les tumultueuses et désastreuses années de Révolution culturelle. D'ailleurs, ici, dans le Shaanxi, pas très loin de Xi'an, on pouvait trouver encore de ces exaltés qui récitaient les slogans révolutionnaires à pleins poumons en vitupérant contre tout ce qui n'était pas Mao... On en avait encore peur, de ces derniers Gardes Rouges, ou de ce qui en restait...
Pour trouver de quoi arroser les champs, il nous fallait creuser. On savait bien que l'eau c'est dans le dessous des choses, et qu'avec un peu de chance, on n'aurait pas à chercher longtemps. C'était l'été, on était abruti de chaleur, et on n'a pas saisi tout de suite ce qui nous est arrivé.

On creusait encore, peut être jusqu'à quatre ou cinq mètres. On remontait la terre avec de pauvres seaux hors d'état. On était en bordure d'une tombe impériale, celle de Qin Shihuang, dont le nom, à l'époque, nous était inconnu. On voyait seulement un tumulus sous les herbes hautes, un talus que d'autres paysans auraient pu faire autrefois.

C'est en remontant un des seaux que l'on a trouvé. C'était une tête en argile, de la taille d'une tête humaine. Elle était expressive, plus expressive que les peintures révolutionnaires qui ornaient les murs du village. Elle était vieille. On s'est tous arrêté pour la regarder. Et pour savoir quoi en tirer. D'un côté, si la Révolution Culturelle était finie, on n'avait rien à craindre. Ce n'était plus dangereux de rouvrir l'histoire ancienne et impériale. D'un autre côté, on ne savait pas à qui s'adresser pour savoir si cette tête avait de la valeur. Mieux valait donc partir pour Xi'an. Là, ils avaient beaucoup de vieilles choses. Ils sauraient nous conseiller.





Là s'arrête l'épisode. J'aime à penser à ce moment d'incertitude, lorsque l'on ne sait pas encore ce qu'on a sous les pieds.


Bingmayong aujourd'hui est l'un des plus grand musée de Chine. Pensez !, trois fosses dont deux sont aussi grandes qu'un terrain de football, entourées de bâtiments annexes qui accueillent expositions permanentes et temporaires. Un site archéologique qui, plus de trente ans après sa découverte, n'a pas encore été complètement fouillé. Cette armée aux pieds d'argiles est effectivement une découverte majeure pour le patrimoine mondial de l'humanité. Elle témoigne d'un triomphe du figuratif et du symbolique, d'une performance technique, d'une assise autoritaire ; de tout, en somme, ce que l'Empire du Milieu savait faire avant tout le monde.