vendredi 31 juillet 2020

Một cuộc thám hiểm kỳ lạ - 6.


 - Ông ơi ! Pourquoi vous vous intéressez aux morts comme ça ?
 - Ça, mon bonhomme, ça va être un peu dur à t’expliquer…
 - Non, je parlais à Ông ! Pas à toi ! Toi, tu es Chú, d’accord ? Lui, c’est Ông, toi c’est Chú. Mais pour toi il est Chú aussi, ou Anh si t’es vraiment copain. Et toi, pour lui, tu es Em. Comme moi. Moi je suis Em pour Ông et pour toi. Tu vois ? Le vietnamien, c’est simple et très pratique !
 - Limpide, en effet.
 - Et donc, vous voulez voir où reposent les cendres de la dame dont ma tante vous parlait, c’est ça ?
 - Tout juste p’tit Auguste ! Tu nous fais un topo sur l’endroit, qu’on sache dans quel panthéon on se pointe. On se faufile discret, appareil photo en bandoulière, on fait mine de mater la déco, on repère le blaze de la rombière sur son vase mortuaire, et on cherche du détail qui cloche. T’es un malin, Em, non ? Tu saurais nous avertir si tu vois un truc qui déraille ?

Tuấn marque une pause.

 - Tu sais, Ông ơi, je t’aime bien, mais quand tu parles je ne comprends pas tout ce que tu dis… Tu arrives à le comprendre, toi, Chú ?
 - Limpide, à force. Question d’habitude. Tu verras.

C’est un autre porche, monumental celui-là, qui supporte trois arches. Deux lions sculptés, de part et d’autre, montent la garde sur leurs piédestaux, en postures éternellement menaçantes. Nous poussons les battants centraux, lourds, vermoulus et imposants, afin de franchir ce seuil sacré. Une entrée qui sied parfaitement à notre fine équipe. Tuấn, en éclaireur averti, nous enjoint de suivre le mur d’enceinte sur la gauche, pour nous approcher d’un groupe d’étranges pagodons, projetant leurs sept paliers en fines toitures dentelées et moussues vers un ciel incertain.
 - Ça, ce sont des tombes très très célèbres ici. On vient de tout le pays en pèlerinage pour y prier et y offrir toutes sortes de choses, et recevoir en échange la chance et la réussite. La plus vieille et la plus haute, ici, c’est celle de Maître Minh Hải. C’était un moine chinois venu au Vietnam pour y apporter le Dharma, la parole sainte du bouddhisme. On raconte qu’il arriva à la cour du Seigneur Nguyễn Phúc Trăn accompagné de neuf autres sages, en 1687, pour transmettre son savoir. Chacun de ces dix grands prêtres choisit alors son propre chemin, à travers le royaume, et Maître Minh Hải décida de s’installer à Hội An, où il y avait déjà plein de Minh Hương. Il fit construire cette pagode, où il enseigna jusqu’à sa mort. D’autres prirent sa suite, là, vous voyez ? Maître Thiệt Diệu, Maître Pháp Diễn, Maître Đồng Mẫn, Maître Toàn Đăng, Maître Chương Đạo, Maître Chương Khoáng, Maître Ấn Bính, Maître Chơn Chứng, Maître…  
 - Maître Khổng ?
 - Non, non, il n’y a pas de Maître Khổng à vénérer ici.
 - Peut-être bien, p’tit père, mais notre vieux Khổng est là, derrière. Et en bonne compagnie, qui plus est. M’est avis que son irruption n’est pas le fruit du hasard. Magnons-nous avant qu’il ne flaire notre présence et se redevienne apoplectique ! Tuấn, ces cendres, tu nous les trouves presto, faut qu’on décarre avant que la moniale ne rapplique pour nous asticoter. Zou !
Voilà notre loustic qui se carapate dans le fond du cimetière, dont les tombes enchevêtrées disparaissent sous les joncs, les racines et les herbes folles. Nous parvenons tant bien que mal à suivre sa cadence, qui en trébuchant, qui en s’époumonant, jusqu’à la pénombre rafraîchissante d’une étrange chapelle aux voûtes lézardées, aux pierres déchaussées.
On reprend souffle.
Devant, le caveau entrouvert bée d’une noirceur profonde, que parfois vient déciller la fluette flamme d’une loupiote, posée là, sur la pierre humide et froide. On devine sous cette lumière timide et vacillante une rangée de poteries évasées, certaines brisées, d’autres dangereusement de guingois. Impossible de déchiffrer la tablette funéraire, tombée à terre en plusieurs morceaux, qui pourrait nous indiquer si nous avons fait mouche.
Des appels sourds et soudain, venus du dehors, nous parviennent. Ni une, ni deux, nous tentons de collecter dans l’obscurité tous ces fragments de porcelaine, avant de resurgir aux abois. L’alerte est encore lointaine, se réverbérant au-dessus des toits, mais le rythme d’un gong semble se faire plus pressant. Point de retraite, au fond de cette nécropole bouffée par la nature, mais, par chance, une brèche dans la muraille apparaît un peu plus loin, assez grande pour que Tuấn s’y faufile avec notre verroterie.
 - Taille-toi, gamin ! On se retrouve tantôt ! File !
 
Sitôt seuls, nous adoptons cette contenance gauche et affable du touriste éperdu d’exotisme, s’extasiant devant la plus petite des effigies. Une phalange de jeunes bonzes déboule tout à coup, depuis le bâti principal du temple, et nous pointe du doigt. Nous sommes bien vite cernés, tandis que, pompeux et claudiquant, s’approche un Khổng chenu, perplexe et soucieux.
« Oui oui oui… Ainsi c’est bien vous, oui, on ne m’avait pas menti. Français, donc, oui ? Ah, le français, oui, jolie langue, je l’admets, limpide parfois, mais difficile, oui oui, très difficile ! Vouvoyer, oui, ou tutoyer, comment savoir… oui ? Ah, pour vous, cela semble évident, oui, belle bedaine, bonne couperose, oui, et le nez, les sourcils, aucune hésitation. Joli costume aussi, belle coupe, bien sûr, oui… Mais toi, par contre, mon jeune ami, tu caches bien ton jeu, et tu sais bien en profiter, n’est-ce pas, oui… Pardonnez donc cette intrusion, je ne voudrais pas que vous vous mépreniez sur nos intentions, oui oui… Mais d’étranges signaux me sont parvenus dernièrement, oui, de la part de nombre de nos relais, de Đà Nẵng à Hội An, oui, comme quoi deux olibrius, oui oui, j’aime bien le terme, deux goguenots, si vous préférez, oui, vont et viennent pour faire refluer d’anciennes putrescences… Et pour exhumer quoi, je vous prie ? Oui ? Oui ? Des calembredaines, sûrement, oui ? Oui… Sachez donc que nous sommes aux aguets, oui. Que nous ne vous laisserons pas tranquilles, si vous persistez à incommoder nos morts et emmêler les trames de nos tisserandes. Mes gens vous ont à l’œil, et, oui oui, foi de Khổng, je ne permettrai pas que vous remettiez en cause la douce quiétude de notre ville… Oui, c’est cela, aussi je vous recommande de quitter ces lieux, sans tapage aucun, oui. Oui ? Ơi ! Hãy để họ ra ngoài ! Ơi ! C’est par là, oui. »

Penauds, contrits presque, nous voilà, escortés prestement hors des murs, sous le regard goguenard d’un inquisiteur triomphant. D’un spasme de barbiche, les portes se referment, tandis que nous sentons sur nous s’abattre le poids d’une suspicion diffuse.

Baste ! Les emplettes sont faites, les factures réglées, le gant, jeté.
Reste à remettre la main sur notre petit cornac.

Nous pourrons alors tirer révérence et prendre la route des nuages.

jeudi 30 juillet 2020

Một cuộc thám hiểm kỳ lạ - 5.

 

 - Bảy mươi tám !, rapporte-t-elle, toute à son affaire.
 - Soixante-dix-huit…, répète diligemment notre jeune roublard, crayon en main.
 - Ba mươi lăm !
 - Trente-cinq…
 - Năm muơi tám !
 - Cinquante-huit…
 - Sáu mươi ba !
 - Soixante-trois…
 - Ba mươi chín !
 - Trente-neuf…
 - Mười chín !
 - Dix-neuf…
 - Trăm lẻ bốn !
 - Cent quatre…
 - Cent quatre ! Ben mon cochon !
 - C’est pas de l’embonpoint, c’est de la corpulence, mieux, de l’amplitude, et confortable avec ça. Toi, t’es sec comme un coup de trique, rien sur les os, t’as beau becqueter comme un sagouin que tu restes poids plume ! La ramène pas, et passe-moi ces échantillons, que je sache comment m’attifer comme il se doit ! Là, voilà, du brocart comme je les aime… Et pour la doublure ?

Je le laisse à ses brocards et ses demi-mesures et vais me réfugier dans l’arrière-boutique auprès des cages à oiseaux et de l’autel des mannes qui ne me veulent, j’espère, qu’un moindre mal. Celui-là, de taille modeste, est remarquablement ouvragé, tout de bois laqué, serti d’ivoire, rougeoyant dans la pénombre. Coupes et plateaux d’offrandes se disputent cet espace exigu, tandis qu’à l’arrière-plan, toujours présents, les 三清, trinité taoïste des Ethérés, hilares sous leur barbe, dissimulent un placard miniature marqué des caractères « 前賢明鄉 ».
J’en reste tout pantois.
Tuấn, toujours à fureter partout, capte mon hébétude. Je le vois s’entretenir discrètement avec notre matrone qui – lèvres pincées de quantité d’aiguilles – hoche une tête sévère et soucieuse.
Oui, il nous faudra tenir conciliabule, aux heures sombres, rideaux fermés, pour évoquer de vieux fantômes. 

Pas d’inquiétude, on paiera rubis sur l’ongle, si la coupe est bonne.

« On m’appelle Phương, mais Châu Thị Mỹ Phương est mon nom complet. Je suis bien sûr d’origine Minh Hương, comme la plupart des commerçants de la vieille ville, tout autour du marché. J’ai, c’est vrai, un penchant pour la généalogie et ses vieilles lunes, et j’aime bien dérouler, comme mes draps, les événements passés. Ma famille est l’une des premières à avoir accosté dans cet estuaire, ce devait être dans les années 1640, mais les archives ne sont pas très claires à ce sujet. En tout état de cause, les dix premiers clans à avoir posé le pied, d’abord sur les abords de Thanh Hà – l’ancienne capitale des Nguyễn qu’on appelle de nos jours Huế –, puis sur les berges du port de Fai Fo, se désignèrent sous le nom de « 十佬 », les Thập Lão, venus des confins du Fújiàn, au sud de la Chine. Artisans, marchands, paysans, soldats, mandarins ou bien manœuvres, nombreux furent ceux qui bravèrent corsaires et mauvaises mers pour fuir la tyrannie mandchoue des Qing, qui s’abattit sur l’Empire et persécuta tous les partisans de l’ancienne dynastie Ming, désormais défaite. Les premiers à tirer leur épingle du jeu furent les Khổng 孔, durs à la tâche et âpres au gain, qui établirent vite une brasserie de vin de riz et de millet pour éponger la soif des coolies et des voyageurs de passage. Ils devinrent d’ailleurs bien vite si affluents que l’un d’entre eux, Khổng Thiên Như 孔天如, fut même promu au rang de Cai Phủ Tàu, Inspecteur des Douanes sous administration Nguyễn, ce dont ils se gargarisent encore ! Les Dư 余 et les Từ 徐, eux, se firent la main sur le tissage, du chanvre d’abord puis de trames plus fines et délicates, jusqu’à damer le pion aux soies japonaises, de plus en plus rares et onéreuses. Les Nhan 顏 furent moins dégourdis, ou plus avisés, c’est selon, et s’embourbèrent dans le calfatage des sampans, jonques et autres esquifs faisant navettes entre les appontements de la côte, pour ensuite lever flottille et pécher comme des rois. Des Hoàng 黃 et des Trương 張, nous n’en savons pas beaucoup, car tous, ou presque, s’engagèrent aussitôt dans la soldatesque Việt du Đàng Trong, toujours aux prises avec leurs frères ennemis venus du nord. Ainsi disparurent-ils des chroniques tenues sur nos rouleaux, dans leur quête d’une gloire lointaine… Aux Trần 陳, la céramique, aux Thái 蔡 la faïence, si bien que les Lưu 劉 n’eurent plus que de la terre à cuire ! De viles querelles, de la vaisselle cassée, mais au bout du compte, ces trois clans furent longtemps aux fours ensemble et tinrent même registres communs. Quant aux Châu 周, maniant pinceaux, roulant bouliers, ceux-là s’adonnaient autant à la peinture qu’aux écritures, en dilettantes, entre deux actes de vente ou de bons d’achat. Et ces dix clans, aussi dénommés « 前賢 », nos révérés ancêtres fondateurs, furent par la suite rejoints par d’autres, au fil des années et des migrations venus de tous les rivages chinois. Il y eut des Ngụy 魏, des Ngô 吳, des Ngũ 伍 ; et puis des Lê 黎, des Lâm 林, des Khưu 邱, des Vưu 尤, et j’en passe. En tout, vingt-sept tribus débarquèrent en l’espace d’une décade. On commença à se sentir un peu à l’étroit, dans le ghetto, si bien que l’on se mit à l’ouvrage pour gagner sur les eaux du port et étendre l’influence Minh Hương sur les affaires locales. D’abord un pied dans l’administration, un deuxième dans la justice, une main sur les onguents et les potions, l’autre sur les sacrements… De métèques en guenilles venus d’outre-mer, offrant menus services, la communauté prit son essor pour gouverner Hội An en quelques générations, et déploya son ascendance jusqu’à la capitale, par-delà le col des Nuages, là où trône le Mandaté du Ciel ! Ah, merci Tuấn, tenez, voilà du thé vert, servez-vous je vous prie ! J’espère que je ne vous ennuie pas, avec toutes ces fables… Pardon, vous dites ? Le Nihonmachi ? Oh, la concession japonaise n’était déjà plus que l’ombre d’elle-même lorsque les Chinois débarquèrent. Tout au plus quelques vieux écriteaux, décatis, laissant deviner encore de défuntes entreprises, mais on ne s’encanaillait plus de l’autre côté du pont comme au temps des premiers aventuriers Portugais, non… Il y avait bien la mère Ni Cô Diệu Thành, toujours hautaine et fortunée, veillant au grain et se lamentant sur son amour perdu… Plaît-il ? Eh bien, ce ne sont que des ouï-dire, je ne crois pas qu’il existe des témoignages pour corroborer cette histoire-là, mais au fil des années, devrais-je dire, des siècles, ce qu’on raconte sur elle et son amant – dont vous avez, je présume, visité la tombe, si vous me posez ces questions-là – font partie du folklore. Vous en conviendrez avec moi : quoi de plus poignant qu’une galante esseulée, interrogeant inlassablement les étoiles, les marées, les équipages, gardant espoir jusqu’au bout, jusqu’à cette aube tragique durant laquelle un navire Wakō apparaît sans crier gare, fait escale et la délivre enfin de son sacerdoce… Lui, enfin !, lui, de retour, mais tout froid et inerte, trépassé seulement depuis quelques jours, d’une longue maladie ou d’une blessure mortelle, nul ne le sait ; le voilà, dans une caisse de bois nonchalamment jetée à quai sous l’indifférence de la foule et des sanglots étouffés d’une femme toujours fière et farouche. Oui, pardonnez-moi, je crois que je m’abandonne à un certain lyrisme… Quoiqu’il en soit, cette romance, bien que considérée comme un joli conte pour enfant, fut l’objet au fil du temps de bien des quand dira-t-on. On prêta à cette dame des intentions tantôt bienveillantes, tantôt fourbes et mystérieuses… Après tout, qui attendrait aussi longtemps le retour d’un exilé, fuyant son propre pays à bord d’un vaisseau pirate, pour de vieilles caresses ? N’y aurait-il pas quelque dessein funeste derrière tant d’abnégation ? Bien plus tard, on prétendit même qu’elle n’était autre que l’incarnation de la princesse Liễu Hạn, l’une des quatre Immortelles de nos légendes populaires, ayant fait un pacte avec l’étranger pour obtenir une gemme aux propriétés surnaturelles. Que voulez-vous, on finit toujours par faire preuve d’un peu trop d’imagination, à ressasser des ragots entre mégères ! Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir enterré son bien-aimé, elle se retira par la suite à la cour de Huế pour le restant de ses jours, bien que ses cendres fussent ramenées ici. Son urne funéraire doit encore être parmi toutes celles qui se trouvent dans la pagode Chúc Thánh, à quelques rues d’ici. Si vous souhaitez en savoir davantage sur les coutumes locales, je ne peux que vous encourager d’y aller ! C’est ce que la ville a de meilleur à offrir, en termes de temple bouddhiste. À vous de voir, messieurs, mais je suis au regret de vous dire qu’il se fait tard et que le thé est froid. Revenez demain, j’aurai des ajustements à faire. Tuấn vous fera chercher. D’ailleurs, si vous avez besoin d’un guide et interprète, je ne peux que vous le recommander, c’est un trésor d’ingénuité ! »

mercredi 29 juillet 2020

Một cuộc thám hiểm kỳ lạ - 4.

 

1647 年、日本の貿易商人谷弥次郎兵衛 (たにやじろべえ) ここに眠る。

言い伝えによれば、彼は江戸幕府の外国貿易禁止令に従って日本へ帰国する事になったが、彼はホイアンの恋人に会いたくてホイアンに戻ろうとして倒れた。

この彼の墓は母国の方向、北東 10 度を向いている。

この遺跡は 17 世紀にホイアンが商業港として繁栄していた当時、日本の貿易商人と当地の市民との関係が大変友好的であった事の証しである。

 - Belle stèle… Je te décrypte ?
 - Balance.          
 - J’enjolive alors… « Ci-gît, depuis 1647, Yajirobei Tani, commerçant japonais. Selon la légende, il reprit la route du Soleil-Levant, obéissant ainsi au diktat du Shogunat d’Edo qui proscrivit toutes relations commerciales avec le monde extérieur. Il tenta néanmoins de revenir à Hội An, n’ayant jamais pu oublier les charmes de son amante. Sa tombe fait face à son pays natal, orientée à 10 degrés vers le Nord-Est. Ce site témoigne de la relation profondément amicale entre les négociants japonais et les citoyens locaux lorsque Hội An était, mi-17ème siècle, un comptoir prospère et florissant. »
 - L’a donc tenu parole, le Omi.
 - Faut croire...
 - Mais clamsé depuis quatre siècles et demi ! Y a plus que du rhizome, là, sous nos pieds. Et si l’on en croit la jactance du Francisco, le gonze prend les voiles et se fait la malle pendant treize longues années avant de reparaître pour être enseveli sous cette cocasse sépulture, perdue au milieu des rizières. Il a foutu quoi pendant tout ce temps not’ Tani ? Et sa louloute ? S’est fait poudroyer et verdoyer la pilule façon Sœur Anne en soupirant son sigisbée ?
 - Sais pas, mais si lui bouffe des racines de jacinthe d’eau tout seul depuis tout ce temps, elle doit bien brouter son gazon quelque part... Il a bravé le Sakoku, pour les beaux yeux d’une jouvencelle, comme le prétend ce cippe-là, et il a touché terre. Ce qu’il se jurait de rapporter est donc aussi en pays d’Annam. On peut supputer que…

La tombe est belle et bien pittoresque, et belle et bien perdue au milieu du vert ondoyant des pousses de riz prêtes à la récolte. Quelques cônes de pailles surgissent çà et là au milieu des parcelles, laissant deviner de minces silhouettes à l’ouvrage, fines et recourbées.  Le vent joue sa partition à merveille, faisant valser jusquiames, bambous et palmiers. Nous rebroussons l’étroit chemin pour retrouver Hội An, ses ruelles ocre et brunes, ses volets vermoulus, ses tamariniers, et ses gazelles en vélo toute de áo dài blanc vêtues.

« C’est bon, tu l’as jaspiné, ta carte postale ? Faut qu’on se sustente presto, nouilles et binouzes, et qu’on devise. Tes camelots nippons ont pris poudre et escampette, convient donc de se renseigner auprès de leurs épigones, qui, si ma caboche tourne encore rond, sont leurs poteaux boutiquiers du continent. A en croire notre petite balade jusqu’ici, la bourgade ne manque pas de chinoiseries, et de pagodes à leur souvenance. Voilà. Tu me termines ta roteuse cul-sec, et on se pointe là-bas pour y tirer des vers, nez à nez avec du vieux sage barbichu aux ongles aussi longs que leurs salamalecs. C’est cliché, je sais. Capisce ? »
Je le crois un peu à cran. La chaleur sans doute, qui tape. Et notre enquête qui patine.

C’est d’abord une porte, massive et vieille, qui s’ouvre sur une cour pavée ornée de lourdes jarres à l’email craquelé. Quelques bancs, quelques badauds qui s’éventent à l’ombre d’un banian. Un premier vestibule, aux piliers de bois noir, supporte un toit de tuiles moussues. On peut lire, dans un cadre ouvragé, le nom du temple, « 明鄉萃先堂 », érigé à la mémoire des aïeux Minh Hương, dont nous cherchons, matois, un digne et arthritique représentant.

C’est en pénétrant plus avant dans l’enceinte de la cour d’honneur, sous les émanations de myriades de bâtonnets d’encens, que nous prenons la mesure du problème : ils sont légion, ces patriarches chenus et voûtés. Recroquevillés sur leur coussin de prière, l’œil aux aguets, et la canne à portée, ils psalmodient en chœur les sutras ancestraux.
Pas de quoi trublionner sans vergogne, mais plutôt de s’asseoir en tailleur, discrètement, sur un bas-côté et faire mine d’être charmé par ces circonlocutions envoûtantes. Parmi tous ces aînés, nous en avisons un qui semble plus agité que les autres, habité semble-t-il d’une tremblote mystique. Fiévreux, le voilà qui lève les bras au ciel, pantelant, avant de se prosterner plus bas que terre.
« Oh, lui, c’est un des vieux Khổng ! C’est pour ça qu’il est comme ça, à faire tout son cirque ! Mais il est gentil, vous savez, sinon. Suivez-moi, suivez-moi, chez ma tante, elle est tout près ! Allez ! Tante Phương, c’est la meilleure tailleuse de la ville ! Dernières modes, costumes pas chers et robes pour les dames ! Elle pourra vous en raconter plein, des histoires chinoises, si vous restez pour les essayages. Allez, c’est par là, c’est pas loin ! »
Il est tout petiot, et tout content de trouver du touriste à pigeonner. Il est tout trépignant aussi, et prêt à nous pourrir la vie joyeusement si nous restons cois.
 - Moi, c’est Tuấn ! Je parle un peu le français, oui, oui, et vous êtes Français, non ? Toi, tu ne ressembles pas du tout à un Français mais toi, t’as un nez bien long comme il faut…  Première fois à Hội An ? La ville du tissu et des jolies filles, allez, suivez-moi !
Mon voisin marque une pause. De bougon, le voilà qui soudain se débourre.
 - Et vous faites dans le lin ? Le coton ? On s’ensuque tellement ici, il me faut du léger, et qui froisse pas, hein, du facile pour l’entretien et le pliage…

Nous plantons donc la gériatrie à ses péroraisons pour accompagner un Tuấn tout sourire, qui sait parler chiffon avec l’aplomb du plus grand maître couturier.

mardi 28 juillet 2020

Một cuộc thám hiểm kỳ lạ - 3.


 - De bien belle pages, en in-octavo, rien de moins, oui, et d’impression sur vélin génois en plus, même si sa parution première semble être romaine…  Quel style fleuri ! Voyez, oyez, « il porto più bello visitato da tutti gli stranieri... è quello della provincia di Cacciam ! », non ? Le port le plus beau, visité par tous les étrangers... S’ensuit une longue description des estuaires et des canaux, des voies maritimes et fluviales, avant de s’attarder sur les relations qu’entretiennent les différentes communautés marchandes… C’est du Christoforo Borri, jésuite pur jus, qui l’écrit : c’est écrit, 1631, « Relatione della nuova missione delli P.P. della Compagnia di Gesù al Regno della Cocincina », voyez, parce qu’à cette époque, voyez, l’Annam est Cochinchine, mais nous nous égarons ; cette publication marquera le début d’une littérature foisonnante sur les relations politiques et ecclésiastiques qu’entretiendra, par l’entremise de la Compagnie de Jésus,  le Saint-Siège avec ces nouveaux dominions à convoiter – pardon – à convertir. Borri est peut-être le premier, mais il n’est pas le seul, loin s’en faut, à témoigner de la vitalité du commerce de Fai Fo. Attendez, vous devez contempler aussi ces magnifiques feuillets de la main même de Francisco de Andrade… La traduction est de moi, aussi j’espère qu’elle vous sera lisible ! Une minute, une minute, vous n’allez pas être déçus !...

Bordéliques et poussiéreux, parfois de guingois, les rayonnages, derrière lui, ne nous laissent aucun doute. Nous sommes en présence d’un véritable rat de bibliothèque, de ceux qui citent leurs sources in extenso et dans le texte, siouplaît. Mais c’est un rongeur débonnaire, en tenue civile – malgré un col romain de fort bonne facture – qui nous accueille à bras aussi ouverts que raccourcis. Il nous tend, d’un air mi-martial mi-conspirateur, un vieux dossier racorni et mangé aux mites, ceinturé de ficelle à gigot. Puis il tente de dégager tant bien que mal un bout de table du fatras splendide de son étude sardanapalesque, tandis que nous prenons place, côte à côte et coude à coude, sur une bergère branlante et patinée. Je délie l’objet de notre curiosité, et nous entamons la lecture.

7 Novembre 1634, mer de Chine

Déjà neuf jours que nous avons franchi le détroit de Balabac, laissant derrière nous la Mer des Célèbes et ses doux alizés, pour faire cap sur la côte Cochinchinoise. Le Zéphyr des mers de Chine tire nos voiles à bons nœuds, et nous devrions apercevoir sous peu les cieux moutonneux de la cordillère annamitique. La caraque est lourde, lente à la manœuvre. C’est que ses cales sont pleines, depuis notre dernière escale à Ternate, pour y embarquer une douzaine de muids de muscade et de clous de girofle. Ah, l’archipel des Moluques, leurs épices, leurs couleurs, leurs bordels et leurs belles métisses ambonaises ! Que n’y resterait-on pas pour s’alanguir à loisir ?
Le moral de l’équipage est bon, maintenant que nous sommes en haute mer, et que les corsaires chinois de Sabah sont désormais hors de portée. Nous suivons à l’astrolabe la route médiane, celle cartographiée par Afonso de Albuquerque lors de sa première exploration des îles de Palawan et Bornéo, mais nous remontons au septentrion, afin de trouver l’estuaire de Pulluciambello qui nous mènera, le long de la rivière du Roi, jusqu’au port de Fai Fo. J’espère y retrouver la compagnie de João et Diogo, pour que nous puissions profiter au mieux des délices du Nihonmachi !

10 Novembre 1634, Fai Fo

Les voiles sont pliées, les boulines et haubans détendus, les amarres aux bittes et le bordage à quai. À cette heure, tout ce que le Fai Fo compte de portefaix s’emploie à décharger nos marchandises : aux sacs de muscade et de girofle s’ajoutent barriques de cinnamone, de cubèbe, ballots de myrte et de poivres longs de Java et Sarawak. Nous aurons alors de quoi faire négoce avec les armateurs du quartier japonais, à moins que les marchands du Foukien ne viennent d’abord nous proposer affaires. Nous en gardons toutefois une bonne cargaison pour notre retour sur Calicut, car les Mamelouks du Caire sont paraît-il aux abois, et nous aurions torts de ne pas profiter d’une disette.
Point de Diogo – il doit encore être à Kampot y prendre de la graine – mais João est bien là ! Quelle joie de le retrouver après tant de périples ! Comme de bien entendu, il est intarissable et connaît déjà tout du Nihonmachi et de ses deux rues principales, que les locaux appellent Hội An, où l’on ne compte plus, entre hangars à grains et officines de bois polis, toutes sortes d’établissements de bains, de jeux et de plaisirs terrestres, aux enseignes peintes d’une étrange calligraphie mi chinoise mi enfantine, dont nous ne comprenons nul trait. Qu’importe ! Le galimatias des comptoirs d’Orient fait toujours merveille, s’il est accompagné de manières courtoises et d’une bourse bien remplie ! Nous passons donc une soirée délectable, sous les brumes des baquets chauds et des salles enfumées, bruyantes et gourmandes, de l’auberge que l’on appelle ici des « Cerisiers en Fleurs ».
À la nuit, nous en avons, certes, goûté quelques corolles…

17 Novembre 1634, Fai Fo

Le Omi du Conseil du Nihonmachi, Maître Yajirobei Tani, a donc tranché. De nos épices dont le Japon semble si friand, nous pouvons espérer récupérer en échange tonnelets de pollen d’Hibiscus, menue monnaie de cuivre – ces bitasen acceptées dans tout l’Extrême Orient – et, surtout, pièces d’argent et rouleaux de la meilleure soie Nishijin, brocardée de motifs impériaux. Les Chinois, pour leur part, ne veulent que du poivre, et de la poudre. Soit. Je dois bien sûr en referrer à nos autorités de Malacca, mais la transaction me semble actée. Pour autant, nous ne pouvons reprendre la mer tant que les billets de reçu ne soient avalisés, et je ne sais combien de temps cela prendra. C’est que, pour que nos cales se remplissent à nouveau, il nous faut obtenir moult cachets et tampons. Ainsi s’effectuent toutes transactions avec l’empire Nippon, féru d’une administration aussi versatile que tatillonne. Leurs jonques ne trafiquent que dûment autorisées par leur Seigneur de Guerre, ce Shōgun intraitable et mystérieux que personne n’a jamais vu. Et donc, seules leurs nefs mandatées d’un sceau vermillon, aux étranges arabesques, leur redonne accès à leurs rivages, là-bas, à Nagasaki. Sans cela, point de retour, ni de salut. Rien que de la contrebande et de la piraterie sur les côtes chinoises, comme tous les navires Wakō qui infestent ces mers, de Aynam à Formosa.
On inventorie. On calcule. On attend. C’est l’occasion de rendre visite aux communautés Việt qui peuplent les faubourgs, et qui alimentent de leur maraîchage les marchés du cru. De payer tribut également au Prince Nguyễn Phúc Lan, dont la garnison, quoique discrète et disciplinée, sait toujours faire preuve de persuasion lorsque ses coffres s’épuisent, et d’une grande curiosité quant aux détonations de nos nouvelles pièces d’artillerie.
C’est aussi le temps de jeter un œil sur nos compères hollandais qui ont ouvert une modeste succursale de la
Vereenigde Oost Indische Compagnie, un peu plus loin sur l’estuaire. Leurs représentants – passée une morgue toute luthérienne – sont enclins au commérage. Entre deux pipes de tabac batave, ils nous souhaitent en ricanant ruine, naufrages et engloutissements. Rien de moins. Nous leur en savons gré, surtout depuis que des échos troublants nous proviennent du Kyūshū, où notre îlot de Hirado, à une encâblure de Nagasaki, occupée déjà pour moitié par nos concurrents hanséatiques, fait l’objet de contrôles de plus en plus stricts.

La route vers le Japon nous sera-t-elle bientôt close ? Je n’ose l‘envisager…

19 Novembre 1634, Fai Fo

Etrange tour que prennent les évènements !
Maître Yajirobei nous a rendu visite hier, de manière impromptue. Il est monté à bord, encadré d’une escorte réduite. À son air sombre et inquiet, je ne pouvais que me remémorer les sourdes malédictions entendues il y a peu. Il me fait part de sa volonté de quitter ses fonctions et de rentrer au pays dans un avenir proche. Pourtant, tout le monde ici, depuis le Seigneur Nguyễn jusqu’au dernier mousse indigène, respecte ses conseils et son autorité. Lui-même ancien marchand, il connaît le ciel, les vents, les nuages, les courants, les marées, et tous les dialectes, et aussi les bons et les mauvais esprits. J’ai eu maille à partir avec lui plusieurs fois, depuis sept ans que je cabote de port en port et d’île en île, et j’ai appris à composer avec ses humeurs et ses silences, parfois si longs qu’ils se transforment en recueillements.

Ce qu’il me confie, tout soudain, à l’abri des lambris du carré, me stupéfie. Lui, toujours en tête des cérémonies animistes qui alimentent toutes les supputations superstitieuses de la part de la populace, lui, toujours mesuré dans ses propositions d’entente cordiale entre nos Couronnes si lointaines, lui, est Chrétien ! Chrétien catholique qui plus est ! Baptisé dès son plus jeune âge, en secret, par des missionnaires Franciscains liés au sacerdoce de François-Xavier, qu’on a si souvent prétendu en exil dans les confins de l’Empire Chinois !

À cela je ne sais que répondre.

Mais il insiste, il veut repentance avant de reprendre la mer. Il veut l’absolution, sous couvert de notre navire – il ne peut faire confiance aux officiants de la petite paroisse du Nihonmachi – car il a une dernière mission à accomplir. Une vieille promesse. Une relique qu’il lui faut récupérer au tout prix, et rapporter en Terre de Dieu, avant que le Japon ne se dérobe à la Miséricorde du Christ.  

À genoux, il se signe, et attend en psalmodiant, les yeux fermés.

J’envoie chercher notre aumônier, qui doit cuver en soute je ne sais quelle messe basse…

lundi 27 juillet 2020

Một cuộc thám hiểm kỳ lạ - 2.

Le vicaire est un homme si long, si fin, qu’il semble soutenu par la Grâce elle-même. Il apparaît par l’entrebâillement d’une persienne vermoulue, qu’il pousse lentement d’une main délicate. Derrière lui, on distingue les ombres du bas-côté, longues à cette heure crépusculaire. 

Etrange édifice que cette petite cathédrale toute de stuc rose et de flèches d’albâtre, perdue au milieu des hautes pousses de béton vitrifié, en bordure du fleuve Hàn. Sa pointe écaillée fait certainement tinter son bourdon tous les dimanches, pour rappeler aux ouailles leur devoir de communion. 

Nous ne sommes pas dimanche. 

Nous sommes seuls, et lui, là, me surplombe de sa soutane immaculée.  Je tente un « Xin Chào Bố » qui ne reçoit qu’un haussement de sourcils et un plissement de tissu. Il se retourne. D’un signe, nous trouvons place sur les bancs frontaux, devant le jubé. Le silence, à sa mesure, prend consistance. Nous restons assis côte à côte, en contemplation. L’autel, sous les derniers feux du jour, d’opale devient obsidienne. Le crucifix, en équerre. Mon voisin se décide, soudain, à élever la voix.
 - Mon français va être laborieux, j’en ai peur. Vous êtes Français, n’est-ce pas ? Vous ne ressemblez pas du tout à un Français, et pourtant, je reconnaîtrai un gamin des rues de Paris à chaque fois ! J’ai été séminariste dans le XVIIe, à Saint-Joseph des Epinettes, il y a fort longtemps. De tumultueuses années, je peux vous dire, après mon retour au pays. Notre paroisse va de mal en pis, mais nous gardons la foi. Nous n’avons que ça, alors... Đà Nẵng n’a que faire d’une vieille église, et les appétits sont voraces, pour qui veut se soustraire à la miséricorde du Seigneur. Que venez-vous donc faire ici ? Quelles réponses cherchez-vous sous notre toit ?
 - Vous m’en voyez désolé, Père… C’est que… Dans cette histoire à vous conter il est fait état de frères barbus causant latin, à qui un certain Paulo, vieux Saint sûrement, se serait fendu d’une babiole en guise d’un remerciement, bricole provenant du sanctuaire d’une déesse, désormais en mains césariennes pour l’emmener en Annam. C’est un peu décousu, comme ça à première écoute, mais si l’on prend les choses par la fin, nous voilà bien en Annam, oui ? Reste donc à trouver un bidule retenu par des mains césariennes et barbues, pour peu que l’on sache de quoi il s’agit…
Mon interlocuteur reste coi, pensif, limite torve, alors que l’obscurité s’épaissit. Je lui accorde quelques paters, avec à la rigueur un salut à Marie, mais il me faut le sortir de cette casuistique torpeur.
 - Père ?
 - …Et vos barbus versificateurs, quand donc se seraient-ils manifestés ?
 - Oh, je dirai il y a trois ou quatre siècles. À la louche…
Le revoilà égrenant son chapelet. La nef est maintenant nocturne. Nous voguons sur de lourdes volutes d’encens. Au loin, le vrombissement sourd de la ville nous parvient, alors que les vitraux, parfois, éclatent en mille reflets écarlates.
Tout à coup :
 - Il y a trois ou quatre siècles, mon fils, cette église n’existait pas. Cette ville n’existait pas. Tout au plus, des hameaux épars, des huttes, des pagodes. Pas de tableau picaresque, non. Plutôt une campagne de colonisation des territoires du Champa par les Việt, menée tambour battant par les seigneurs Lê venus depuis l’autre côté du col des Nuages. Au début du XVIe siècle, on compte cinq petits bourgs fondés le long des rives du fleuve, que les nouveaux arrivants baptisèrent de noms aussi orientaux qu’enchanteurs : ainsi de Hải Châu, la « Perle des Mers », à l’embouchure de la baie, Nại Hiên, la « Grange aux Biches », Thạch Thang, « Echelle de Pierre », sis sur un monticule, Nam Đường, ou « Temple du Sud », et enfin Phước Ninh, « Bouillon Fortuné », parfumant les chaumières ; cinq villages qui approvisionnent bientôt de leur riz blanc et paniers d’osier un grand marché dont l’emplacement ne devait pas être bien loin d’ici. J’imagine qu’on y pouvait y trouver du paysan barbichu s’époumonant à la criée, mais je doute fort qu’on l’entendît décliner « rosa, rosae, rosas ». Le premier barbu qui pourrait correspondre à votre description devait être un membre de l’équipage de la caravelle d’António de Faria. Sujet portugais porté sur l’exploration, la flibuste et le négoce, c’est lui qui le premier fera escale dans la baie, en 1535, alors qu’il tente d’établir des routes mercantiles entre les empires Việt, Chinois et Nippon, via, bien sûr, les comptoirs de Malacca et de la péninsule Macanaise. Pour autant, si vous souhaitez en apprendre davantage sur ces Européens romans, hirsutes, puant l’ail et la gnôle, mais baptisés, je ne peux que vous suggérer de vous rendre à Hội An. C’est là, dans cet ancien port franc que s’établissent les premières officines, marquant le début d’un commerce prospère où Portugais, Hollandais, Indiens, Chinois et Japonais vont trafiquer à loisir et jouer d’influences parfois ostensibles, parfois secrètes, et ce pendant les deux siècles qui suivent… C’est aussi là, incidemment, que résident présentement nos autorités diocésaines, si vous voulez que je les avertisse de votre visite prochaine…

Je prends congé tandis qu’il rajuste son rosaire. Un haussement de tête et sa longue silhouette s’évanouit dans l’abside.
Dehors, c’est moiteur, foule de badauds en goguette, trottoirs encombrés de minuscules tabourets, sur lesquels s’encanaille une jeunesse avide de bières et de brochettes. Je retrouve le chemin de notre hôtel, où m’attend, ragaillardi, mon compère toujours fouettard.
 - Alors, matelot, bonne virée ? T’as harponné du bon prélat ? Tu nous débagoules ça recta, devant une bonne mousse. Fait soif ici, et la nuit est à nous !

dimanche 26 juillet 2020

Một cuộc thám hiểm kỳ lạ - 1.

 – Tu sèches ?
 – Je marine.

 – Tu patauges. Tu t’enlises. Tu t'enfonces. Tu pèches par manque de profondeur. Allez, fais voir ton parchemin là. Regarde-le bien réfléchir, le bolloss des belles lettres, rabaisse ton dossier, relève ta tablette, masque tes coquillards et laisse le charme agir. Ah... Elles sont où, mes bésicles ?

しょうがない. Ouep, voudrais bien roupiller un peu. Mais bon, classé sardine – rotules écrasées, café bouillu, plateau repas épongé – encore deux heures à tuer, et lui qui me bassine depuis notre escale à Canton. Ne me reste qu’a maugréer en regardant par le hublot s’effilocher les nuages et mes souvenirs du Japon, avant notre descente sur Đà Nẵng. Lui, plongé dans son déchiffrement, comiquement inspiré, me laisse enfin la paix. Je peux bien lui laisser ça. Je sais bien que sous ses airs empruntés et risiblement studieux nous ne volerons pas bien haut, mais son latin de catéchisme pourrait bien nous servir.

Après un soupir et quelques turbulences, le coucou commence à piquer du nez. On nous crachote en sabir des cabines pressurisées que le temps est à l’heure, que sur ces basses terres du centre Việt Nam il est au beau fixe, qu’il y fait très chaud, très humide, et qu’on se doit de faire bon séjour, mais en gardant ceintures attachées, dos bien droit et gosier sec. De gentes et sveltes damoiselles en tunique de soie viennent admonester les derniers ronfleurs de bien revenir parmi nous, sur quoi les trains font un atterrissage sans rebondissement. Bref, un vol sans histoire.

 – « A fragmento… Paulo accepit frater … barbatos videtis, de sanctuario … loca deae, quae per elapsum est terminus sursum in manibus Caeraris Annam ...», c’est tout ce que j’ai saisi de tes pattes de mouches. Ton papelard est illisible, je conjecture, et, nihil reflectitur, abstiens-toi, n’ergote pas. T’as un Gaffiot sous le coude ? Non ? Donc ferme ton clapet et trouve-nous un hôtel fissa, avant qu’on se répande sur ce foutu tarmac.

 L’air est lourd, l’air est chaud, et le soleil darde. Nous pénétrons trempés dans le terminal où nous passons sous l’œil matois d’une douane vêtue de chemisettes kaki et de larges casquettes égayées d’une étoile rouge. Đà Nẵng est une ville qui a grandi trop vite, et son ancien aérodrome, maintenant aéroport desservi par de gros appareils venus des quatre coins d’Asie, se trouve peu à peu grignoté par l’amoncellement de maisons bigarrées, hautes et étroites, qui font barrière de leurs terrasses serties de tôles rouillées. Visas diligemment tamponnés, bagages en bandoulière, nous voici prêts à subir l’assaut des chauffeurs de tacots qui nous haranguent en longues litanies d’extases à venir : toutes sortes d’encongaïllages, en chansons, en beuveries, en massages, ou bien alors la découverte de trésors archéologiques dans le musée de la civilisation, désormais disparue, du Champa. On coupe court et avisons la première berline, à la peinture roussie, dont le pilote, tout sourire édenté et chemise débraillée, nous vante illico les mérites de l’hôtel « Cá Heo Phương Đông » d’où la vue sur la baie est réputée imprenable. On opine, il débraye, sous un concert de klaxons enthousiastes et rageurs.

 – Me pieuter, seul, sous un ventilo, pour une ronflette tranquille. Toi, tu gères l’intendance. Fin limier que tu es, tu nous ferreras bien une prise, menu fretin ou gros poiscaille, de quoi nous emmener jusqu’au prochain chapitre. Allez, hisse haut, jeune loup des mers de Chine, et laisse roupiller la capitainerie ! 

mardi 14 juillet 2020

Surplombant l'averse

Le bruissement devient bien vite bruit, puis fracas. La fragrance, depuis la pièce où s’écrivent ces mots, s'alourdit d'autant, puisant dans les tréfonds du ciel des senteurs d'iode et de tourbe. 
La lumière s'estompe, pour n’être plus qu’éclats soudains d’éclairs fulgurants.
Un orage de mousson s'abat, au crépuscule finissant, sur la ville. 
Par la fenêtre entrouverte, on tente une photo, ou deux.

dimanche 12 juillet 2020

D'un plan à l'autre

Sûrement, de telles visions semblent provenir d'une cité d'Asie, trempée de lourdes moussons, aux cieux capricieux et changeants, aux murs fertiles de suintements et de coulures vert-de-gris. Une de ces cités tropicales tentaculaires, d'un pays en essor, de celles qui sautent, par étapes souvent trop rapides, les âges architecturaux, et qui, par nécessité, ne s'appesantit pas sur l'harmonie des volumes. On se retrouve alors, observateur ébahi, devant d’étranges tableaux, où se disputent de vieilles et de nouvelles lignes, où ergotent les langueurs végétales et les élancements bétonnés. 
En tout état de cause, donc, le photographe possède un jardin d’expérimentation tout trouvé !