mardi 28 juillet 2020

Một cuộc thám hiểm kỳ lạ - 3.


 - De bien belle pages, en in-octavo, rien de moins, oui, et d’impression sur vélin génois en plus, même si sa parution première semble être romaine…  Quel style fleuri ! Voyez, oyez, « il porto più bello visitato da tutti gli stranieri... è quello della provincia di Cacciam ! », non ? Le port le plus beau, visité par tous les étrangers... S’ensuit une longue description des estuaires et des canaux, des voies maritimes et fluviales, avant de s’attarder sur les relations qu’entretiennent les différentes communautés marchandes… C’est du Christoforo Borri, jésuite pur jus, qui l’écrit : c’est écrit, 1631, « Relatione della nuova missione delli P.P. della Compagnia di Gesù al Regno della Cocincina », voyez, parce qu’à cette époque, voyez, l’Annam est Cochinchine, mais nous nous égarons ; cette publication marquera le début d’une littérature foisonnante sur les relations politiques et ecclésiastiques qu’entretiendra, par l’entremise de la Compagnie de Jésus,  le Saint-Siège avec ces nouveaux dominions à convoiter – pardon – à convertir. Borri est peut-être le premier, mais il n’est pas le seul, loin s’en faut, à témoigner de la vitalité du commerce de Fai Fo. Attendez, vous devez contempler aussi ces magnifiques feuillets de la main même de Francisco de Andrade… La traduction est de moi, aussi j’espère qu’elle vous sera lisible ! Une minute, une minute, vous n’allez pas être déçus !...

Bordéliques et poussiéreux, parfois de guingois, les rayonnages, derrière lui, ne nous laissent aucun doute. Nous sommes en présence d’un véritable rat de bibliothèque, de ceux qui citent leurs sources in extenso et dans le texte, siouplaît. Mais c’est un rongeur débonnaire, en tenue civile – malgré un col romain de fort bonne facture – qui nous accueille à bras aussi ouverts que raccourcis. Il nous tend, d’un air mi-martial mi-conspirateur, un vieux dossier racorni et mangé aux mites, ceinturé de ficelle à gigot. Puis il tente de dégager tant bien que mal un bout de table du fatras splendide de son étude sardanapalesque, tandis que nous prenons place, côte à côte et coude à coude, sur une bergère branlante et patinée. Je délie l’objet de notre curiosité, et nous entamons la lecture.

7 Novembre 1634, mer de Chine

Déjà neuf jours que nous avons franchi le détroit de Balabac, laissant derrière nous la Mer des Célèbes et ses doux alizés, pour faire cap sur la côte Cochinchinoise. Le Zéphyr des mers de Chine tire nos voiles à bons nœuds, et nous devrions apercevoir sous peu les cieux moutonneux de la cordillère annamitique. La caraque est lourde, lente à la manœuvre. C’est que ses cales sont pleines, depuis notre dernière escale à Ternate, pour y embarquer une douzaine de muids de muscade et de clous de girofle. Ah, l’archipel des Moluques, leurs épices, leurs couleurs, leurs bordels et leurs belles métisses ambonaises ! Que n’y resterait-on pas pour s’alanguir à loisir ?
Le moral de l’équipage est bon, maintenant que nous sommes en haute mer, et que les corsaires chinois de Sabah sont désormais hors de portée. Nous suivons à l’astrolabe la route médiane, celle cartographiée par Afonso de Albuquerque lors de sa première exploration des îles de Palawan et Bornéo, mais nous remontons au septentrion, afin de trouver l’estuaire de Pulluciambello qui nous mènera, le long de la rivière du Roi, jusqu’au port de Fai Fo. J’espère y retrouver la compagnie de João et Diogo, pour que nous puissions profiter au mieux des délices du Nihonmachi !

10 Novembre 1634, Fai Fo

Les voiles sont pliées, les boulines et haubans détendus, les amarres aux bittes et le bordage à quai. À cette heure, tout ce que le Fai Fo compte de portefaix s’emploie à décharger nos marchandises : aux sacs de muscade et de girofle s’ajoutent barriques de cinnamone, de cubèbe, ballots de myrte et de poivres longs de Java et Sarawak. Nous aurons alors de quoi faire négoce avec les armateurs du quartier japonais, à moins que les marchands du Foukien ne viennent d’abord nous proposer affaires. Nous en gardons toutefois une bonne cargaison pour notre retour sur Calicut, car les Mamelouks du Caire sont paraît-il aux abois, et nous aurions torts de ne pas profiter d’une disette.
Point de Diogo – il doit encore être à Kampot y prendre de la graine – mais João est bien là ! Quelle joie de le retrouver après tant de périples ! Comme de bien entendu, il est intarissable et connaît déjà tout du Nihonmachi et de ses deux rues principales, que les locaux appellent Hội An, où l’on ne compte plus, entre hangars à grains et officines de bois polis, toutes sortes d’établissements de bains, de jeux et de plaisirs terrestres, aux enseignes peintes d’une étrange calligraphie mi chinoise mi enfantine, dont nous ne comprenons nul trait. Qu’importe ! Le galimatias des comptoirs d’Orient fait toujours merveille, s’il est accompagné de manières courtoises et d’une bourse bien remplie ! Nous passons donc une soirée délectable, sous les brumes des baquets chauds et des salles enfumées, bruyantes et gourmandes, de l’auberge que l’on appelle ici des « Cerisiers en Fleurs ».
À la nuit, nous en avons, certes, goûté quelques corolles…

17 Novembre 1634, Fai Fo

Le Omi du Conseil du Nihonmachi, Maître Yajirobei Tani, a donc tranché. De nos épices dont le Japon semble si friand, nous pouvons espérer récupérer en échange tonnelets de pollen d’Hibiscus, menue monnaie de cuivre – ces bitasen acceptées dans tout l’Extrême Orient – et, surtout, pièces d’argent et rouleaux de la meilleure soie Nishijin, brocardée de motifs impériaux. Les Chinois, pour leur part, ne veulent que du poivre, et de la poudre. Soit. Je dois bien sûr en referrer à nos autorités de Malacca, mais la transaction me semble actée. Pour autant, nous ne pouvons reprendre la mer tant que les billets de reçu ne soient avalisés, et je ne sais combien de temps cela prendra. C’est que, pour que nos cales se remplissent à nouveau, il nous faut obtenir moult cachets et tampons. Ainsi s’effectuent toutes transactions avec l’empire Nippon, féru d’une administration aussi versatile que tatillonne. Leurs jonques ne trafiquent que dûment autorisées par leur Seigneur de Guerre, ce Shōgun intraitable et mystérieux que personne n’a jamais vu. Et donc, seules leurs nefs mandatées d’un sceau vermillon, aux étranges arabesques, leur redonne accès à leurs rivages, là-bas, à Nagasaki. Sans cela, point de retour, ni de salut. Rien que de la contrebande et de la piraterie sur les côtes chinoises, comme tous les navires Wakō qui infestent ces mers, de Aynam à Formosa.
On inventorie. On calcule. On attend. C’est l’occasion de rendre visite aux communautés Việt qui peuplent les faubourgs, et qui alimentent de leur maraîchage les marchés du cru. De payer tribut également au Prince Nguyễn Phúc Lan, dont la garnison, quoique discrète et disciplinée, sait toujours faire preuve de persuasion lorsque ses coffres s’épuisent, et d’une grande curiosité quant aux détonations de nos nouvelles pièces d’artillerie.
C’est aussi le temps de jeter un œil sur nos compères hollandais qui ont ouvert une modeste succursale de la
Vereenigde Oost Indische Compagnie, un peu plus loin sur l’estuaire. Leurs représentants – passée une morgue toute luthérienne – sont enclins au commérage. Entre deux pipes de tabac batave, ils nous souhaitent en ricanant ruine, naufrages et engloutissements. Rien de moins. Nous leur en savons gré, surtout depuis que des échos troublants nous proviennent du Kyūshū, où notre îlot de Hirado, à une encâblure de Nagasaki, occupée déjà pour moitié par nos concurrents hanséatiques, fait l’objet de contrôles de plus en plus stricts.

La route vers le Japon nous sera-t-elle bientôt close ? Je n’ose l‘envisager…

19 Novembre 1634, Fai Fo

Etrange tour que prennent les évènements !
Maître Yajirobei nous a rendu visite hier, de manière impromptue. Il est monté à bord, encadré d’une escorte réduite. À son air sombre et inquiet, je ne pouvais que me remémorer les sourdes malédictions entendues il y a peu. Il me fait part de sa volonté de quitter ses fonctions et de rentrer au pays dans un avenir proche. Pourtant, tout le monde ici, depuis le Seigneur Nguyễn jusqu’au dernier mousse indigène, respecte ses conseils et son autorité. Lui-même ancien marchand, il connaît le ciel, les vents, les nuages, les courants, les marées, et tous les dialectes, et aussi les bons et les mauvais esprits. J’ai eu maille à partir avec lui plusieurs fois, depuis sept ans que je cabote de port en port et d’île en île, et j’ai appris à composer avec ses humeurs et ses silences, parfois si longs qu’ils se transforment en recueillements.

Ce qu’il me confie, tout soudain, à l’abri des lambris du carré, me stupéfie. Lui, toujours en tête des cérémonies animistes qui alimentent toutes les supputations superstitieuses de la part de la populace, lui, toujours mesuré dans ses propositions d’entente cordiale entre nos Couronnes si lointaines, lui, est Chrétien ! Chrétien catholique qui plus est ! Baptisé dès son plus jeune âge, en secret, par des missionnaires Franciscains liés au sacerdoce de François-Xavier, qu’on a si souvent prétendu en exil dans les confins de l’Empire Chinois !

À cela je ne sais que répondre.

Mais il insiste, il veut repentance avant de reprendre la mer. Il veut l’absolution, sous couvert de notre navire – il ne peut faire confiance aux officiants de la petite paroisse du Nihonmachi – car il a une dernière mission à accomplir. Une vieille promesse. Une relique qu’il lui faut récupérer au tout prix, et rapporter en Terre de Dieu, avant que le Japon ne se dérobe à la Miséricorde du Christ.  

À genoux, il se signe, et attend en psalmodiant, les yeux fermés.

J’envoie chercher notre aumônier, qui doit cuver en soute je ne sais quelle messe basse…

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