Bref, du beau design pour le plus grand plaisir du promeneur féru de prouesses urbaines, surpris tout de même par cet éclectisme disparate, dans une ville si fière de ses stricts codes de conduite.
vendredi 25 novembre 2022
Archiville
jeudi 24 novembre 2022
Astronomie balnéaire
Où enfin l’on s’aperçoit, avec émerveillement teinté d’effroi, qu’il y a, loin, très loin là-haut, myriades de rivages que viennent lécher des océans d’hydrocarbures inconnus, sous des cieux aussi constellés que celui-là, mais qu’en revanche ce palmier-là est bien le seul et unique à être planté là, devant nos yeux éberlués et incrédules, tandis que les flux de marée viennent caresser nos pieds enfouis dans le sable.
mercredi 23 novembre 2022
Rocs en stock
Encore une histoire de baratte et de mer de lait, tout ça. Mais les démiurges à l’œuvre ne sont pas des entités célestes qui ourdissent depuis leurs nuées Mythes et Créations. Non, c’est plus prosaïque. Du magma, de la fusion, des éruptions, et des îlots qui pointent au-dessus de la surface des eaux. À Pulau Sibu, les roches pyroclastiques ont toute latitude pour rivaliser d’atours stratifiés, en teintes rose, ardoise, brunes ou bien rouilles.
lundi 21 novembre 2022
L'île du jour présent
Une île au large de Johor, luxuriante et montueuse. Une île presque vierge, qu’on aborde en canot à moteur et sur laquelle on prend pied dans une anse à couvert de la brise. Là, quelques bungalow tressés de palmes blottis à l’orée de la jungle, un réfectoire de planches décaties, un groupe électrogène, une citerne et des cuisines. Quelques jours et quelques nuits à la marge du monde…
dimanche 20 novembre 2022
Urban Pantone
Les peintures sont semble-t-il toujours fraîches sur les anciennes façades singapouriennes, si bien que de pittoresque la ville prend parfois des allures un peu toc. C’est pourtant un effort éminemment louable que de vouloir entretenir et conserver ce patrimoine historique : bâtiments administratifs d’inspiration victorienne, shophouses aux arcades régulières, maisons de maître entourées de jardins, tout est prétexte à coloriage vif et bariolé. Pour autant – et c’est heureux –, aucun ripolinage ne peut masquer le fait que la cité s’est construite sous ces latitudes propices aux suintements, aux moisissures, aux érosions tempétueuses. Sous le vernis se révèlent toujours l’usure de l’usage, la patine tropicale des rouillures et des racines.
vendredi 7 octobre 2022
Werehouses
C’est qu’il en faut, de la place, pour emmagasiner la production, avant qu’elle ne soit conditionnée pour son grand voyage sur les porte-conteneurs. Coup de bol : des hangars inoccupés, ce n’est pas ça qui manque dans la province de Dong Nai. Nous prenons donc pour quelques semaines nos quartiers dans une ancienne usine de fabrication de granulés alimentaires pour gaver la volaille, dont les parfums lourds corrompent l’air poussiéreux.
Cette épaisse atmosphère donne le la. On bosse sous les structures de métal disjointes et rouillées avec hâte, on ne chicane pas, on veut vite finir son quart et sortir à l’air libre.
Temporaire travail…
jeudi 11 août 2022
À l'école des buildings
La ville possédait en son centre un crayon tout pointu, à propos duquel on recouvrit, lors de son édification, de belles pages de critiques acerbes et de louanges bétonnées. Toujours bien taillé, ce totem vit apparaître à sa gauche une gomme toute lisse et toute propre, qui vint fort opportunément effacer trois décennies de domination graphique, au tournant des années deux-mille. Las ! Voilà qu’un troisième immeuble grappe-ciel, blotti tout contre la gare, veut à son tour faire état de son auguste silhouette, à coup de poutrelles d’acier.
Qu’allons-nous donc voir se dessiner à la droite de notre trousse d’écolier ? Un double-décimètre ? Un Stabylo ? Ou bien alors, pour faire bonne mesure, un jeu d’équerre, un rapporteur ?
Une chose est sure : en-deçà, les toits hérissés de cheminées de brique n’en font pas grand cas. Ils ont pour eux la multitude, et l’embarras du choix.
lundi 8 août 2022
jeudi 4 août 2022
Pas de deux à quatre pattes
De ces allées plantées de mûriers et de platanes on a déjà tant dit qu’il serait vain de ressasser ces vieilles lunes. Pour autant, puisqu’elles sont toujours là, toujours échevelées sous mistrals et tramontanes, un peu ravinées par les grosses pluies et les incessantes allées et venues des tracteurs, des remorques et des voitures ; puisqu’elles raccordent le mas et la ferme aux portes du domaine, empruntées tous les jours par des grappes d’enfants, des promeneurs solitaires, des visiteurs du matin et du soir ; puisqu’elles sont les artères campagnardes par lesquelles s’égrènent les récoltes ; pour tout cela il faut encore évoquer le sentiment de plénitude qui saisit celui qui revient après une longue absence, qui emprunte ces routes de terre rousse et de caillasses pour retrouver un parent, un cousin, un frère ; et, le pas tranquille, il lui arrive parfois de s’arrêter un instant, pour goûter la lumière et la caresse du vent, scruter la ligne d’un horizon victorieux, humer les parfums de garrigue et de pins ; il finit toutefois par reprendre sa marche, car on l’attend quelque part, là où la table est mise, le vin déjà versé, le pain déjà rompu.
dimanche 31 juillet 2022
Portraitures
Qu’y puis-je, si le sujet est exactement à la portée du téléobjectif, et qu’il présente – par trois fois – son meilleur jour ? Eh bien, je le saisis au vol, en fait un triptyque, et c’est bien fait pour lui !
samedi 30 juillet 2022
Vers les cimes
C’est de l’arpitan. Du franco-provençal, si vous préférez, et cela signifie « pré, pacage, prairie ». On s’en serait douté, au vu de la topographie. Pour autant, cela fait bien longtemps que ces terres arables ne sont plus cultivées, et qu’elles ont été vendues au plus offrant, pour y bâtir de fastueux chalets, à quelques bornes de Chamonix. Les Praz, c’est aussi une petite église chapeautée comme une aiguille, au pied de laquelle on peut s’étendre sur l’herbe et goûter le soleil. Bien au-dessus, les parois grises du Dru s’élèvent vers le ciel pour se dissoudre dans les nuages. Cliché alpestre, sans filtre.
vendredi 29 juillet 2022
lundi 25 juillet 2022
dimanche 24 juillet 2022
Se mettre en jambe
Une ascension douce vers le Prarion, pour contempler l’ensemble du massif. La litanie des sommets que l'on discerne au loin donne le tournis : Pointe de Platé, Tête du Colonney, Pointe d’Areu, Mont Charvey, Mont Fleuri, la Grande Balmaz, l’Aiguille des Glaciers, le Dôme de Miage, celui du Goûter et, derrière, toujours un peu timide de se savoir le plus élevé, le Mont Blanc. En enfilade, l’Aiguille du Midi, du Plan, du Grépon. La Verte et le Chardonnet, au loin, ferment le ban.
samedi 23 juillet 2022
Alps revamped
Ce point de vue-là est original. Jamais auparavant n’avions-nous élu domicile si bas dans la vallée, dans le village des Houches. Le profil de ces montagnes si familières est ainsi bien différent. De quoi s’amuser à reconnaître les sommets sous un jour tout nouveau…
mercredi 20 juillet 2022
Des aventures extraordinaires
Franchir les grilles du Jardin des Plantes, c’est marcher dans les empreintes d’Adèle. Oui, la Blanc-Sec, l’égérie du dessinateur et scénariste Jacques Tardi à ses heures les plus primesautières. On se doit aussi de visiter les bâtiments du Musée d’Histoire Naturelle, de lever la tête plus d’une fois à l’affût d’un ptérodactyle qui cercle encore et toujours au-dessus des toits de la Galerie de l’Evolution.
Le Pithécanthrope, lui, est bel et bien au garde-à-vous et tout osseux, au deuxième étage de la Galerie de Paléontologie et d’Anatomie comparée. Une journée d’observation entre zoologie, minéralogie, botanique, avec tout de même quelques regards par-dessus l’épaule, pour être sûr que le professeur Espérandieu n’est pas dans les parages.
mardi 19 juillet 2022
Versailles Chantier - Non desservi
Oui, posé là, comme ça, ça a l’air un peu abscons. Etayons donc le propos, et revenons en arrière.
C’est parce que le premier monarque à en faire usage était agoraphobe et pris de soudaines crises de mysticisme que ce petit pavillon de chasse, sis au sommet du plateau de Versailles devint un lieu prisé. Louis XIII participe d’ailleurs personnellement à l’édification de cette bicoque. Rien que de très banal : un plan rectangulaire entouré de fossés, un corps de logis en brique, une cour et une porte cochère du plus bel effet. C’est charmant. Les battues sont sublimes, le gibier abondant. L’esprit reste féodal, rustique, terre à terre et bon enfant. Mais le « chestif chasteau », des 1630, a les crocs. Il lui faut plus de domaines, plus de sentiers, plus de courre. Et plus de prestance. Alors on agrandit, on décore, on flamboie. Mais Louis XIII n’est pas éternel, et son jeune successeur est encore bien trop bleu. Sous régence de Mazarin, on laisse le lierre pousser. Rien ne sert de s’encombrer d’une dépendance bien trop forestière et trop loin des centres du pouvoir. Ce n’est qu’en 1660 que Louis XIV, alors à ses seize bougies, manifeste un intérêt certain à la rempoignade du domaine jusque-là en déshérence. Le gamin a d’abord la main verte : ce sont les vergers et les parterres qui l’occupe. Et puis forcément, parce qu’il fonde famille, il lui faut des pièces en plus. Alors, on élargit, on construit des appartements, on élague, on fait place nette. Ça fait de l’ombre au Louvre, jugé trop engoncé. S’ensuit ménagerie, orangerie, expansion du petit château doté dorénavant d’ailes enveloppées de belles pierres. De lieu de villégiature, la demeure palatiale se transforme en siège du pouvoir, au grand dam d’une courtisanerie peu au fait des us pastoraux de ces faubourgs sylvestres. Qu’importe, on emporte trousseaux, perruques, parfums, poudres et toutes les panoplies pour faire bonne figure sous ces dorures omnipotentes. Le Roi n’en reste pas là, il veut un ordonnancement qui sied à sa stature astrale : au-dehors, jardins, canaux, statues ; au-dedans, salons en enfilade, galerie de miroirs, chambres, antichambres, antichambres d’antichambres. Ce jeu d’expansion, les Louis consécutifs et légataires en sont également de fervents amateurs, bien que leurs contributions se montrent plus modestes.
Mais voilà, ce bel arrangement, ces allées arborées tirées au cordeau, ces corps de bâtiment étirés jusqu’au point d’horizon, ces pièces parquetées tendues de mille brocards, tout cela finit par chiffrer. En espèces, certes, mais aussi en propriétés physiques. Surtout – si nous poursuivons ce raisonnement passablement alambiqué – en entropie. C’est qu’à mesure que se concentre dans les appartements du Souverain un système drainant de si larges ressources à son seul privilège, se produit en retour une demande toujours plus grande d’énergie nécessaire à la perduration dudit système. Et toute cette énergie – ce travail des hommes, des bêtes et des choses – finit toujours par se dissiper, se déliter, se dilapider aux entournures. Ça frémit aux franges du pays. Ça n’obéit plus. Le détricotage se propage, s’encourage. Des collectes on ne retire plus rien. Des violences on se rebiffe. Bientôt on se révolte.
Ainsi s’évanouit, s’évapore un Pouvoir, si vite remplacé par un autre qui élit domicile ailleurs.
Les pierres et les arbres de Versailles sont encore là.
Ils conservent une majesté certaine, mais nous avons trouvé depuis d’autres sources d’énergie pour les neutraliser.
lundi 18 juillet 2022
Du parterre au partiel
On resitue. C’est donc du sable, de la marne, de la caillasse et du calcaire grossier sous les pieds. On en a fait des carrières, qui, sous Napoléon le troisième, sont devenues jardins. Mais, bien avant, le lieu faisait pente douce à côté d’un village, celui de Chaillot, défendu alors par un petit château qui dominait ce méandre de la rivière, dont les contours suivaient les murs du Couvent des Visitandines. On peut se figurer un verger, un maraîchage, sur ce versant argileux qui descend vers la Seine. Quand ? À la louche, vers 1760, mais on peut être large.
Par la suite, on ratiboise. Ça tombe bien, le couvent est détruit en 1794, rétrocédé à l’état, qui ne sait trop quoi faire de ces ruines fumantes. Ça tergiverse, ça laisse en pâture. On pense à édifier un palais, un ensemble de villas, mais rien de concret ne sort de terre. Pendant ce temps, on guerroie un peu partout, de l’Espagne à la Prusse pour faire provision d’une jolie réserve de victoires aux appellations exotiques qu’on accolera ici et là aux ouvrages d’architectures, fussent-ils monarchiques ou républicains. Tenez, cette grosse meringue qu’on finit par édifier en 1877 sur ce site en jachère ? Nommons-le en l’honneur de la forteresse de Cadix, tombée à l’issue d’une bataille épique. Trocadéro, ça sonne bien, ça fait un peu toréador, ombrageux et solaire en même temps. Et ce pont qui enjambe enfin la Seine, courant 1813 : Le Pont d’Iéna ! Ça évoque les plaines franconiennes, l’humus, la tourbe et les morts à foison ; et puis ça fait raccord avec ce Champs de Mars, cette esplanade morose où se succèdent les parades fanfaronnes devant la nouvelle Ecole Militaire.
Et ce terrain tout plat, encadré pâté par pâté d’immeubles de rapports aux jolies proportions, témoin de toutes les fantaisies bellicistes durant deux empires finit par devenir, par un heureux concours de circonstances, l’épicentre du progressisme. On y expose tout l’univers – colonies comprises – à plusieurs reprises, quasiment à chaque décade de 1867 à 1900, et son agencement tout à l’horizontal change un brin lors de l’érection phénoménale de la Dame de Fer, début 1887.
En 1889 c’est la consécration. Jamais rivets et poutrelles d’acier ne sont allés titiller le ciel à cette altitude-là. On se presse, on conspue, on s’extasie, on en tombe des nues. À tel point d’ailleurs que cet enchevêtrement d’éléments métalliques, promis à un démantèlement dans les règles, obtiendra rémission.
On le garde.
On en prend garde.
Et nous, en ce matin de juillet 2022, malgré le sable et la marne sous nos pieds, nous en mesurons, de loin, la haute stature, pour attaquer plus avant une ascension marche après marche du pilier Nord-Ouest, jusqu’au deuxième étage.
dimanche 17 juillet 2022
Lignes de champs
Grands boulevards, places d’apparat,
Tailles de pierre, réverbères,
Toute la ville au cordeau,
Tirée à quatre épingles.
samedi 16 juillet 2022
Premiers pas sur la rive droite
On y côtoie les Sénégalaises venues là pour des coiffes tressées, les Kurdes de retour d’un thé mentholé, des Tamouls au sabir railleur. On veut poursuivre son chemin, se glisser, via la rue d’Enghien, dans le passage du Prado. On passe de devanture en devanture, épiceries, bazars, échoppes de gadgets électroniques, bijouteries, bureaux de change. Il fait frais encore, mais on soupçonne le soleil de ne pas en rester là.
On émerge au carrefour Strasbourg-Saint Denis et, sans embarras, on enjambe le Sébasto entre deux feux verts. Là, la cadence se fait alors plus chaloupée. C’est le faubourg Saint-Martin, plus cossu, plus alangui. Il faut se faufiler entre poussettes et gros scooters, jeter un coup d’œil rapide aux toitures effilées du Conservatoire des Arts et Métiers, filer droit le long des grilles de Saint-Martin des Champs, de Saint-Nicolas-Des-Champs, et, après quelques minutes de flânerie dans ces rues plus étroites, parvenir, enfin, sur l’esplanade Georges Pompidou.
Là, on marque un temps d’arrêt pour contempler le mécano, les lignes claires, les gerberettes, les escaliers roulants, les manches à air. Il y a foule déjà, qui fait grappe un peu plus bas, pour accéder aux portes tambour du musée d’Art Moderne, sous les acclamations d’autres quidams qui profitent des performances de concertistes inspirés par l’acoustique du lieu. Le soleil ne veut plus faire figurant. Il commence à taper sans vergogne.
Il faut contourner Beaubourg par la gauche, emprunter la rue du Renard pour la traverser au plus vite. Sitôt sur le trottoir, côté Est, descendre vers la Seine, et surtout, surtout, ne pas tourner à gauche vers le Marais. Cela signifierait se perdre dans les marigots de la vieille ville, aboutir sans trop savoir comment à la Bastille et vouloir tout de suite faire table rase. Ce n’est pas à l’ordre du jour, alors que le mercure continue à monter.
Non, garder le cap plein Sud, pour parvenir Place de Grève. Saluer l’Hôtel de Ville, deviner au loin les tours carrées de Notre-Dame, puis prendre par l’Avenue Victoria pour s’asseoir un instant à l’ombre des saules qui font cour auprès de la Tour Saint Jacques. Fermer les yeux, écouter un instant les stridulations du trafic sur la rue de Rivoli, le bruissement du vent, les éclats de voix qui parlent toutes les langues de Babel. Une fois ragaillardi, longer les façades du Théâtre Sarah Bernhardt et s’engager sur le Quai de la Mégisserie. La rivière en-deçà offre son plus beau vert-de-gris. Faire une œillade à la Conciergerie, en passant, juste parce qu’à son habitude elle arbore ses chapeaux pointus, puis aviser le Pont Neuf qui réclame aussi un peu d’attention.
Dans la Samaritaine toute nouvelle on respire un air réfrigéré, on observe une déco ripolinée, aux Malheurs des Dames. C’est une dernière étape pour se désacclimater, avant d’attaquer le gros morceau.
Mais il est trop mastoc, ce palais. Ce Louvre-là. Cette place forte qui commence son jeu d’intimidation par le déploiement de ses douves et l’étirement de ses façades. À cela s’ajoute l’étuve. L’asphalte irradie des volutes bleu pétrole, sauf à l’ombre des guichets, qui sont bien encombrés.
Ce matin de Juillet n’en est plus un. C’est une fournaise sous un azur trop confiant.
Allez, hop, pyramide ou pas, on reviendra.
Reprenons le métro.
dimanche 19 juin 2022
Après soi
C’est cathartique, le fouet du vent et le picotement des premières gouttes sur les carreaux, quand on se sait dans une petite boîte de béton perchée si haut dans le ciel de Saïgon. La tour est lourde et bien bâtie, elle ne tangue pas sous les assauts de l’orage, mais les éléments déchaînés qui cognent aux fenêtres n’entendent pas s’arrêter là. Ils ont pour eux foudres et tonnerres aussi, qu’ils somment de rouler tambour et cymbales façon boléro, avant de tout recouvrir d’un rideau lourd et ruisselant.
Au-dedans on se cajole, on sirote un thé, livre sur les genoux, en levant les yeux de temps en temps pour sourire au déluge.
vendredi 3 juin 2022
À trois-cent-soixante
Au sortir de l’usine il faut toujours jeter un coup d’œil panoramique, sur la route d’abord – parce que les règles de conduite sont particulières dans le coin – et sur le ciel surtout, pour déterminer la probabilité d’une averse sur le chemin du retour. C’est la mousson, et la mousson est capricieuse ; elle vous fait d’abord croire qu’elle ouvre les vannes à heure fixes, pour ensuite délaver le ciel à coup de draches aussi impromptues qu’éphémères. On lève donc le nez sitôt qu’on chevauche la motocyclette pour savoir s’il faut prévoir cape de pluie, pantalon retroussé et sandales de circonstance.
Le crépuscule d’aujourd’hui augure plutôt un retour au sec, sous de belles couleurs rose et bleues. Enfin, c’est ce qui se profile au couchant. Il se pourrait bien qu’à l’est on doive se prémunir de moutonnements en toute gamme de gris ; des gris-blanc, des gris-bleu, des gris-argent, cendré, blond, perle, anthracite et, tout là-bas, des teintes sépulcrales qui sentent bon l’orage.
vendredi 15 avril 2022
In situ
Bon voilà. On te demande de prendre deux ou trois poteries, là, comme ça, au pied levé, de les mettre dans le coffre – mais sans les abîmer – et de conduire un peu au hasard, sur les routes de campagnes, pour faire des photos « d’ambiance ». D’ambiance ? Un pot, un vase, une urne, où qu’elle soit, sera toujours dans l’ambiance. Que faudrait-il pour qu’elle n’y soit pas ? Connaissez-vous, vous, une situation géographique non propice à la présence d’une poterie ? Du fin fond de la mer au sommet des montagnes, t’as du pot. De la plus humble des masures au plus opulent des palais, t’as du pot. Bon. Alors on se balade, on trouve des temples, des forêts, des champs, des villages. Et on s’y pose, pot sous le bras, et toc. Jolies photos. Dans l’ambiance.
mardi 22 février 2022
Et têtus avec ça !
Moi, je les vois, matois.
C’est qu’ils m’ont à l’œil.
Piper mot pourtant, eux ?
Tsss. Cul de poule, lèvres pincées,
Et comme si de rien n’était,
Je passe sans sourciller.
lundi 3 janvier 2022
Du balcon
Je sais pas vous, mais quand je suis à Paris, que je rentre dans un ascenseur et que je dois monter au sixième, le bouton que je pousse est toujours celui du dernier étage. Des fois, on n’y regarde pas à deux fois, ça peut être trompeur, il y des « M », des « E », des « 5½ », mais ça ne fait rien, c’est de toute façon le bouton tout en haut, le sixième, juste à côté de celui de l’alarme. Au bout d’un long moment, le bourdonnement feutré de la minuscule cabine de bois vernie marque un temps d’arrêt pour vous déposer là, au sixième donc, sur un palier de parquet chevronné et grinçant que recouvre tant bien que mal une langue de tapis bordeaux mité par les ans. C’est jamais glorieux, un sixième, même avec ce bouton d’ascenseur tout en haut, mais au moins on s’imagine qu’on pourra profiter de la vue, dans une mansarde sur cour pas trop basse de plafond.
Il arrive qu’on doive prendre d’autres ascenseurs ailleurs.
Celui que je dois emprunter maintenant qu’on a déballé nos cartons dans un complexe résidentiel du faubourg chic de Thảo Điền, à Saigon, arbore sur son côté droit un plastron galonné d’une cinquantaine de bitoniaux tous identiques, indexés d’un « B » en bas gauche jusqu’à un « 44 » tout en haut à droite, sur lequel je n’ai jamais vu quiconque poser le doigt. Il faut montrer patte blanche et carte magnétique pour choisir son arrêt, et faire preuve de patience dans la large cabine d’acier trempé lorsque c’est l’heure de pointe. On fait l’impasse sur le « 4e », le « 13e » et le « 14e », histoire de ne pas froisser les susceptibilités, nombreuses dans ces immeubles cosmopolites. Notre pied-à-terre est au trente-septième, où l’ascenseur s’arrête en douceur d’un coup de carillon. Le palier est semblable à tous les autres, carrelé de crème et de faux marbres, doté de portes toutes pareilles. Point de mansarde sous ces latitudes, mais des appartements fonctionnels aux fenêtres hautes et larges. D’où l’on surplombe, à cette altitude de tribun, tout le voisinage, et même davantage.