samedi 28 octobre 2023

六本木の上から

Au faîte de la célèbre tour des Forêts, au lieu dit de la Colline des Six Arbres, on peut essuyer du regard un pan assez considérable de la nappe citadine.

Portrait de paysage

Il semblerait que, quel que soit l’endroit où l’on se trouve dans le parc de Shinjuku, il n’y ait qu’une composition photographique qui soit prise : bosquets, étang, frondaisons, et, en arrière-plan immeubles de bureaux génériques, que surplombe la silhouette d’obélisque de la tour NTT DoCoMo. 

Clic.

vendredi 27 octobre 2023

Goulets et défilés

« Mon nom ?... Comment je m’appelle ?... On me nomme Fubuki, je suis né dans un hameau de montagne, pas loin du massif de Sukai, dans le Gunma. Depuis tout petit, j’ai appris le métier de pisteur et de guide. Un peu métayer, un peu palefrenier aussi. Je cours les sentiers et les routes marchandes, je porte charge, je cueille des herbes, je chasse. Depuis la mort du Gongen, les choses ont changé par ici. On voit de plus en plus de voyageurs tenter de traverser les cols depuis le Fukushima jusqu’au Tochigi. On est plusieurs à entretenir les routes de pèlerinage jusqu’à Nikkō, pour aller prier au sanctuaire de Tōsho-gū. Moi, je préfère veiller sur les chemins de l’Aizu Nishi Kaidō, qui sont vraiment abrupts et sauvages, surtout au printemps, lorsque les animaux sortent d’hibernation et peuvent être dangereux. Moi, oh non, je ne descends pas beaucoup dans les plaines, je n’y connais personne, et je n’y suis pas très bien accueilli d’habitude. Je préfère la compagnie des vents et des nuages, des arbres, des torrents. Parfois, un pèlerin se joint à moi pour le franchissement d’une passe, la découpe d’un arbre déraciné, la pose d’un collet, la collecte de l’eau d’une source. Les pèlerins, je les écoute parler, ils ont toujours des accents d’ailleurs, des mots que je ne connais pas, des raisons de voyager que je ne comprends pas. Ils ne me sont jamais hostiles, jamais dédaigneux, ils se contentent de me suivre, de marcher dans mes empreintes, de mâcher les baies que je leur tends en silence. Souvent, ils se mettent à psalmodier, à chanter, sans trop que je sache ni quand ni pourquoi. Je les laisse faire, sauf quand je sens qu’une laie, pas loin, a mis bas. Là, je suis plutôt direct. J’en viens même aux poings, si on se ferme pas vite sa gueule… Le feu, c’est toujours le feu, quand la nuit tombe, qui les rend taiseux. Ils regardent les flammes, ils ont une expression toujours un peu enfantine, comme si c’était encore la première fois que les flammes dansent pour eux, et parfois ils me racontent la vie des gens d’en bas. Leur vie d’en bas, leur famille et leur tracas de famille et leur espérance de trouver des résolutions à tout ça quand ils auront franchi le Portail de l’Aube, et qu’ils se prosterneront en présence de l’esprit du Gongen. Moi, je ne l’ai jamais vu, le sanctuaire de Tōsho-gū. J’en ai entendu tellement, des descriptions fantastiques, des expressions d’effroi, d’enchantement, de stupeur. Je me figure le nemuri-neko, dont la queue ondoie sous les rayons du soleil, et puis les trois singes immobiles dans leur sage pantomime. C’est Gorō, un jeune gars de Minami Aizu, qui en parle le mieux. Lui, il s’est glissé dans les futaies qui dominent les toits d’or, il a même osé s’approcher des degrés qui gravissent la colline du Okumiya Hōtō, et il l’a vue, la Tombe Sacrée, dans les brumes de l’automne ! Mais il ne devrait pas s’en vanter comme ça, ça finira par lui jouer des tours… Foi de Fubuki, tout ce que j’espère, c’est que ces sentes que nous entretenons serviront pour longtemps, et que la paix d’Edo durera toujours sous le bakufu des Tokugawa… Ja, je dois partir, j’ai de l’élagage à finir… Bonne route, et ki o tsukete, ne ! »

jeudi 26 octobre 2023

L'homme salaire

 

Ah ça, c'est un matin nippon. Ringu ringu, je me lève, ça muit, ça muit, avant de prendre ma douche, j'allume la télébi et je tombe sur les formalités du présentateur du journal qui yoroshique à n’en plus finir. Je quitte l’appato, je prends le train pour me rendre au travail, je dois écouter toutes les annonces formelles, tsugi wa, tsugi wa, parce que j'ai oublié mes écouteurs. J’arrive au turbin. J'annonce officiellement que je suis arrivé. Je salue formellement mes collègues et mes supérieurs avant de m'asseoir. Le téléphone sonne, je passe immédiatement en registre super formel. Je m'incline plusieurs fois même si la personne à qui je parle ne peut pas me voir, puis je m'excuse pour un retard sur un projet, je sumimasenise en litanie jusqu’à la fin de l’appel. Ma journée continue, je moshiwakegozaimasenne en boucle parce que je continue à commettre des erreurs à cause du surmenage et de l'épuisement. Je me shitsureishimasse dans la salle de réunion pour un mitingu à 19 heures, avant d’être enfin osakinishitsureishimassé du bureau en me faufilant dans le couloir. Je me gomenne dans la foule qui s’agglutine sur les quais de la gare. Je monte fissa dans le train futsu pour rentrer au condo. J'ai retrouvé mes écouteurs au fond de mon sac, yoï, yoï, donc je parviens à ignorer les annonces pendant toute la durée de mon voyage de retour. Je me rends au suppa pour acheter de quoi dîner parce que je suis trop fatigué pour cuisiner. La caissière est une femme âgée qui adore utiliser le sonkeigo, alors nous mettons des « o » et des « go » à toutes les sauces. Je suis assez poli, je pense. Je rentre chez moi, suitchi, genkan, surippa. Je mets mon dîner au micro-ondes. Je me mets en pajama, j'allume la télébi, je m'assois et je dévore mon oden fade. Sur l’écran, un groupe de personnes qui ne m'intéressent pas parlent en japonais formel, et je me demande pourquoi j'écoute encore ces salmigondis alors que j'ai passé toute la journée à l'entendre et à l'utiliser moi-même. Finalement, je baisse la tête et je rêve de m'excuser auprès de mon boss pour ne pas m'être suffisamment excusé auprès d'un client. C’est le signe que c’est l’heure du yasumi, au dodo et mata né.

mercredi 25 octobre 2023

Sic Transit Gloria Toshi

Le quartier, un peu au nord de la gare d’Ikebukuro, est quasiment désert à cette heure de la matinée. Tout au plus croise-t-on quelques personnes âgées en route pour faire provisions, et une bande de collégiens déjà essoufflés par un jogging de rigueur. Les ruelles sont étroites, toutes droites, mais jamais bien longues. Il faut tourner souvent, à droite plutôt, pour se rapprocher des voies de chemin de fer. On doit hâter le pas, pour ne pas arriver en retard à notre rendez-vous. L. m’a simplement indiqué que le Dream Coffee se trouvait du côté Nishi Guchi de la gare, qu’il faut donc traverser de part en part, pour ressortir sur une esplanade encombrée de badauds. On avise un abribus pour s’orienter sur la carte du coin, pour enfin parvenir à destination. C’est un café d’angle aux larges vitrines encadrées de bois clair, qu’une petite porte vient percer discrètement. Au-dedans, une brocante de sièges, de vieux divans, de tables patinées, d’étagères encombrées. Il y a là quelques clients le nez dans leur journal, sirotant qui un thé vert, qui un petit noir. Mon hôte n’est pas encore là, je trouve une place dos à la baie vitrée. Le taulier m’apostrophe, il faut commander au comptoir et payer comptant. J’opte pour un アイスコーヒー, pour la modique somme de 230 , dont les arômes évoquent les aurores saïgonaises. C’est un lieu pour habitués. C’est un lieu d’habitudes, de linoleum usé, de vaisselle dépareillée, de formules chuchotées. L. arrive enfin, vient s’asseoir, se relève, demande un œuf dur, un toast beurré, un capuccino, retourne à sa place et, sans marquer la moindre hésitation, me raconte le Tōkyō des cafés songeurs. Il n’a pas enlevé sa gabardine – le fond de l’air est frais en ce début d’automne –, ce qui rajoute à la scène cette impression d'êtres en transit. Bien sûr, nous avons quelques wagons à raccrocher, quelques blancs à remplir. Quelques conseils aussi, à échanger pour esquisser au mieux une carte mentale de cette ville monde aux mille villages à explorer à pied, plutôt. On convient que les shōtengai dépérissent, que les rideaux se ferment, qu’il faut aller plus loin, aux périphéries, pour trouver le bon maraîcher, l’artisan soigneux, l’excellent café torréfié encore aux heures matutinales. On fait fi pourtant du temps des regrets. Il y a tant à parcourir encore, tant à raconter toujours. On se quitte un peu à la volée, lui qui se dirige vers Mejiro, moi dont l’après-midi requiert un saut à Mitaka, et la foule nous absorbe. 

mardi 24 octobre 2023

Banzai Tawā !

Quand messieurs Hisakichi Maeda et Tachū Naitō décidèrent, en 1957, qu’il fallait édifier, dans l’affluente municipalité de Minato, une tour métallique de radiodiffusion, ils n’avaient pas en tête de dresser un simple poteau électrique. Ils se voyaient comme les héritiers de Gustave Eiffel, et, comme lui, voulaient frapper l’opinion et faire tourner quelques têtes. Leur sac en avait bien quelques-uns, de tours, et, quand le 23 décembre 1958 la Tōkyō tawā fut ouverte au public, elle devint illico le symbole d’un Japon renaissant, culminant à 333 mètres – élévation nécessaire pour couvrir d’ondes télévisuelles l’ensemble de la plaine du Kantō. Sa belle robe blanche et orangée, consentie par la sécurité aérienne de l’aérodrome Haneda tout proche, la rend tout de suite attrayante, et ses plateformes d’observation ne désemplissent pas. L’imaginaire populaire des mangas et des films de l’époque d’après-guerre s’amuse sempiternellement à la démolir sous les coups d’un Godzilla, Gamera ou autre Mothra, et il faudra attendre la fin du siècle pour que sa silhouette soit associée à des péripéties moins dramatiques. Pendant ce temps, Tōkyō se densifie le long de sa célèbre ligne Yamanote, emboîte frénétiquement cubes et parallélépipèdes de verre et d’acier, si bien que la Tetsu no Onnachan se retrouve bientôt incapable d’émettre à sa guise. Voilà le régulateur des radio-transmissions bien embêté, il lui faut trouver rapidement une solution pour diffuser ses ondes de nouveau sans encombre. 

 

Les gars de la télé nippone se réunissent, tergiversent, et accouchent d’une idée simple : bâtir une plus grande tour, une vraiment plus grande tour, mais dans un coin de la ville suffisamment paupérisé pour qu’on n’y aille pas construire encore du gratte-ciel de bureaux aux alentours. On tope, on s’incline à gogo, et c’est à Oshiage, dans la commune de Sumida, que l’on prépare les fondations de cette nouvelle antenne géante, sur les voies d'une ancienne gare ferroviaire de fret du réseau Tōbu. Cette architecture en tripode et lacis tubulaire, on la doit à monsieur Tetsuo Tsuchiya, assisté de Tadao Andō et Kiichi Sumikawa, qui ont semble-t-il révisé leurs classiques des armatures en acier soudé. Prouesse technique, que de pouvoir atteindre les 600 mètres de haut sur une base aussi réduite ; élégance de ces lignes simples en chevrons ; le projet suscite un enthousiasme immédiat, qu’un calendrier de construction serré renforce davantage. La Tōkyō Skytree perce le ciel pour culminer à 634 mètres le 29 février 2012, sous les accolades d’une foule adepte de priapisme. Elle fait donc pendant à sa grande sœur mandarine et lui vole la vedette, s’ajoutant par son élancement à la lignée glorieuse des édifices babéliens. 

 

lundi 23 octobre 2023

ご乗車ありがとうございます

Bien sûr, atterrir à Narita, se procurer une carte Pasmo, jeter un œil perplexe sur le tableau des correspondances vers Tōkyō et sauter dans le premier Limited Express venu. Voir la campagne s’étioler à mesure que la ville s’approche. Retrouver toutes ces nuances de gris et de beige qui caractérisent le flou urbain par les fenêtres embuées. Se rassurer à la vue des premières barres d’immeubles résidentiels, des tronçons d’autoroutes surélevées, du monde qui afflue, dans un silence de recueillement. Ecouter s’égrener les noms de stations – Matsuhidai, Ariyama, Kita-kokubun, Yagiri, Takasago – et tenter de s’orienter déjà dans cette plaine indescriptible. Soudain, s’engouffrer dans un tunnel, lever les yeux, scruter la foule encore ensommeillée qui se reflète dans les carreaux obscurcis. Parvenir à Ueno, et de là, marcher un peu, dans l’air frais du matin, pour simplement franchir le seuil du Hondo à Sensō-ji et saluer Shō Kannon. Ces présentations faites, on peut alors commencer ce séjour dans la capitale.