Le quartier, un peu au nord de la gare d’Ikebukuro, est quasiment désert à cette heure de la matinée. Tout au plus croise-t-on quelques personnes âgées en route pour faire provisions, et une bande de collégiens déjà essoufflés par un jogging de rigueur. Les ruelles sont étroites, toutes droites, mais jamais bien longues. Il faut tourner souvent, à droite plutôt, pour se rapprocher des voies de chemin de fer. On doit hâter le pas, pour ne pas arriver en retard à notre rendez-vous. L. m’a simplement indiqué que le Dream Coffee se trouvait du côté Nishi Guchi de la gare, qu’il faut donc traverser de part en part, pour ressortir sur une esplanade encombrée de badauds. On avise un abribus pour s’orienter sur la carte du coin, pour enfin parvenir à destination. C’est un café d’angle aux larges vitrines encadrées de bois clair, qu’une petite porte vient percer discrètement. Au-dedans, une brocante de sièges, de vieux divans, de tables patinées, d’étagères encombrées. Il y a là quelques clients le nez dans leur journal, sirotant qui un thé vert, qui un petit noir. Mon hôte n’est pas encore là, je trouve une place dos à la baie vitrée. Le taulier m’apostrophe, il faut commander au comptoir et payer comptant. J’opte pour un アイスコーヒー, pour la modique somme de 230 円, dont les arômes évoquent les aurores saïgonaises. C’est un lieu pour habitués. C’est un lieu d’habitudes, de linoleum usé, de vaisselle dépareillée, de formules chuchotées. L. arrive enfin, vient s’asseoir, se relève, demande un œuf dur, un toast beurré, un capuccino, retourne à sa place et, sans marquer la moindre hésitation, me raconte le Tōkyō des cafés songeurs. Il n’a pas enlevé sa gabardine – le fond de l’air est frais en ce début d’automne –, ce qui rajoute à la scène cette impression d'êtres en transit. Bien sûr, nous avons quelques wagons à raccrocher, quelques blancs à remplir. Quelques conseils aussi, à échanger pour esquisser au mieux une carte mentale de cette ville monde aux mille villages à explorer à pied, plutôt. On convient que les shōtengai dépérissent, que les rideaux se ferment, qu’il faut aller plus loin, aux périphéries, pour trouver le bon maraîcher, l’artisan soigneux, l’excellent café torréfié encore aux heures matutinales. On fait fi pourtant du temps des regrets. Il y a tant à parcourir encore, tant à raconter toujours. On se quitte un peu à la volée, lui qui se dirige vers Mejiro, moi dont l’après-midi requiert un saut à Mitaka, et la foule nous absorbe.
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