vendredi 27 octobre 2023

Goulets et défilés

« Mon nom ?... Comment je m’appelle ?... On me nomme Fubuki, je suis né dans un hameau de montagne, pas loin du massif de Sukai, dans le Gunma. Depuis tout petit, j’ai appris le métier de pisteur et de guide. Un peu métayer, un peu palefrenier aussi. Je cours les sentiers et les routes marchandes, je porte charge, je cueille des herbes, je chasse. Depuis la mort du Gongen, les choses ont changé par ici. On voit de plus en plus de voyageurs tenter de traverser les cols depuis le Fukushima jusqu’au Tochigi. On est plusieurs à entretenir les routes de pèlerinage jusqu’à Nikkō, pour aller prier au sanctuaire de Tōsho-gū. Moi, je préfère veiller sur les chemins de l’Aizu Nishi Kaidō, qui sont vraiment abrupts et sauvages, surtout au printemps, lorsque les animaux sortent d’hibernation et peuvent être dangereux. Moi, oh non, je ne descends pas beaucoup dans les plaines, je n’y connais personne, et je n’y suis pas très bien accueilli d’habitude. Je préfère la compagnie des vents et des nuages, des arbres, des torrents. Parfois, un pèlerin se joint à moi pour le franchissement d’une passe, la découpe d’un arbre déraciné, la pose d’un collet, la collecte de l’eau d’une source. Les pèlerins, je les écoute parler, ils ont toujours des accents d’ailleurs, des mots que je ne connais pas, des raisons de voyager que je ne comprends pas. Ils ne me sont jamais hostiles, jamais dédaigneux, ils se contentent de me suivre, de marcher dans mes empreintes, de mâcher les baies que je leur tends en silence. Souvent, ils se mettent à psalmodier, à chanter, sans trop que je sache ni quand ni pourquoi. Je les laisse faire, sauf quand je sens qu’une laie, pas loin, a mis bas. Là, je suis plutôt direct. J’en viens même aux poings, si on se ferme pas vite sa gueule… Le feu, c’est toujours le feu, quand la nuit tombe, qui les rend taiseux. Ils regardent les flammes, ils ont une expression toujours un peu enfantine, comme si c’était encore la première fois que les flammes dansent pour eux, et parfois ils me racontent la vie des gens d’en bas. Leur vie d’en bas, leur famille et leur tracas de famille et leur espérance de trouver des résolutions à tout ça quand ils auront franchi le Portail de l’Aube, et qu’ils se prosterneront en présence de l’esprit du Gongen. Moi, je ne l’ai jamais vu, le sanctuaire de Tōsho-gū. J’en ai entendu tellement, des descriptions fantastiques, des expressions d’effroi, d’enchantement, de stupeur. Je me figure le nemuri-neko, dont la queue ondoie sous les rayons du soleil, et puis les trois singes immobiles dans leur sage pantomime. C’est Gorō, un jeune gars de Minami Aizu, qui en parle le mieux. Lui, il s’est glissé dans les futaies qui dominent les toits d’or, il a même osé s’approcher des degrés qui gravissent la colline du Okumiya Hōtō, et il l’a vue, la Tombe Sacrée, dans les brumes de l’automne ! Mais il ne devrait pas s’en vanter comme ça, ça finira par lui jouer des tours… Foi de Fubuki, tout ce que j’espère, c’est que ces sentes que nous entretenons serviront pour longtemps, et que la paix d’Edo durera toujours sous le bakufu des Tokugawa… Ja, je dois partir, j’ai de l’élagage à finir… Bonne route, et ki o tsukete, ne ! »

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