lundi 27 juillet 2020

Một cuộc thám hiểm kỳ lạ - 2.

Le vicaire est un homme si long, si fin, qu’il semble soutenu par la Grâce elle-même. Il apparaît par l’entrebâillement d’une persienne vermoulue, qu’il pousse lentement d’une main délicate. Derrière lui, on distingue les ombres du bas-côté, longues à cette heure crépusculaire. 

Etrange édifice que cette petite cathédrale toute de stuc rose et de flèches d’albâtre, perdue au milieu des hautes pousses de béton vitrifié, en bordure du fleuve Hàn. Sa pointe écaillée fait certainement tinter son bourdon tous les dimanches, pour rappeler aux ouailles leur devoir de communion. 

Nous ne sommes pas dimanche. 

Nous sommes seuls, et lui, là, me surplombe de sa soutane immaculée.  Je tente un « Xin Chào Bố » qui ne reçoit qu’un haussement de sourcils et un plissement de tissu. Il se retourne. D’un signe, nous trouvons place sur les bancs frontaux, devant le jubé. Le silence, à sa mesure, prend consistance. Nous restons assis côte à côte, en contemplation. L’autel, sous les derniers feux du jour, d’opale devient obsidienne. Le crucifix, en équerre. Mon voisin se décide, soudain, à élever la voix.
 - Mon français va être laborieux, j’en ai peur. Vous êtes Français, n’est-ce pas ? Vous ne ressemblez pas du tout à un Français, et pourtant, je reconnaîtrai un gamin des rues de Paris à chaque fois ! J’ai été séminariste dans le XVIIe, à Saint-Joseph des Epinettes, il y a fort longtemps. De tumultueuses années, je peux vous dire, après mon retour au pays. Notre paroisse va de mal en pis, mais nous gardons la foi. Nous n’avons que ça, alors... Đà Nẵng n’a que faire d’une vieille église, et les appétits sont voraces, pour qui veut se soustraire à la miséricorde du Seigneur. Que venez-vous donc faire ici ? Quelles réponses cherchez-vous sous notre toit ?
 - Vous m’en voyez désolé, Père… C’est que… Dans cette histoire à vous conter il est fait état de frères barbus causant latin, à qui un certain Paulo, vieux Saint sûrement, se serait fendu d’une babiole en guise d’un remerciement, bricole provenant du sanctuaire d’une déesse, désormais en mains césariennes pour l’emmener en Annam. C’est un peu décousu, comme ça à première écoute, mais si l’on prend les choses par la fin, nous voilà bien en Annam, oui ? Reste donc à trouver un bidule retenu par des mains césariennes et barbues, pour peu que l’on sache de quoi il s’agit…
Mon interlocuteur reste coi, pensif, limite torve, alors que l’obscurité s’épaissit. Je lui accorde quelques paters, avec à la rigueur un salut à Marie, mais il me faut le sortir de cette casuistique torpeur.
 - Père ?
 - …Et vos barbus versificateurs, quand donc se seraient-ils manifestés ?
 - Oh, je dirai il y a trois ou quatre siècles. À la louche…
Le revoilà égrenant son chapelet. La nef est maintenant nocturne. Nous voguons sur de lourdes volutes d’encens. Au loin, le vrombissement sourd de la ville nous parvient, alors que les vitraux, parfois, éclatent en mille reflets écarlates.
Tout à coup :
 - Il y a trois ou quatre siècles, mon fils, cette église n’existait pas. Cette ville n’existait pas. Tout au plus, des hameaux épars, des huttes, des pagodes. Pas de tableau picaresque, non. Plutôt une campagne de colonisation des territoires du Champa par les Việt, menée tambour battant par les seigneurs Lê venus depuis l’autre côté du col des Nuages. Au début du XVIe siècle, on compte cinq petits bourgs fondés le long des rives du fleuve, que les nouveaux arrivants baptisèrent de noms aussi orientaux qu’enchanteurs : ainsi de Hải Châu, la « Perle des Mers », à l’embouchure de la baie, Nại Hiên, la « Grange aux Biches », Thạch Thang, « Echelle de Pierre », sis sur un monticule, Nam Đường, ou « Temple du Sud », et enfin Phước Ninh, « Bouillon Fortuné », parfumant les chaumières ; cinq villages qui approvisionnent bientôt de leur riz blanc et paniers d’osier un grand marché dont l’emplacement ne devait pas être bien loin d’ici. J’imagine qu’on y pouvait y trouver du paysan barbichu s’époumonant à la criée, mais je doute fort qu’on l’entendît décliner « rosa, rosae, rosas ». Le premier barbu qui pourrait correspondre à votre description devait être un membre de l’équipage de la caravelle d’António de Faria. Sujet portugais porté sur l’exploration, la flibuste et le négoce, c’est lui qui le premier fera escale dans la baie, en 1535, alors qu’il tente d’établir des routes mercantiles entre les empires Việt, Chinois et Nippon, via, bien sûr, les comptoirs de Malacca et de la péninsule Macanaise. Pour autant, si vous souhaitez en apprendre davantage sur ces Européens romans, hirsutes, puant l’ail et la gnôle, mais baptisés, je ne peux que vous suggérer de vous rendre à Hội An. C’est là, dans cet ancien port franc que s’établissent les premières officines, marquant le début d’un commerce prospère où Portugais, Hollandais, Indiens, Chinois et Japonais vont trafiquer à loisir et jouer d’influences parfois ostensibles, parfois secrètes, et ce pendant les deux siècles qui suivent… C’est aussi là, incidemment, que résident présentement nos autorités diocésaines, si vous voulez que je les avertisse de votre visite prochaine…

Je prends congé tandis qu’il rajuste son rosaire. Un haussement de tête et sa longue silhouette s’évanouit dans l’abside.
Dehors, c’est moiteur, foule de badauds en goguette, trottoirs encombrés de minuscules tabourets, sur lesquels s’encanaille une jeunesse avide de bières et de brochettes. Je retrouve le chemin de notre hôtel, où m’attend, ragaillardi, mon compère toujours fouettard.
 - Alors, matelot, bonne virée ? T’as harponné du bon prélat ? Tu nous débagoules ça recta, devant une bonne mousse. Fait soif ici, et la nuit est à nous !

2 commentaires:

Jimidi a dit…

Alors ça tu vois : "Le vicaire est un homme si long, si fin, qu’il semble soutenu par la Grâce elle-même. Il apparaît par l’entrebâillement d’une persienne vermoulue, qu’il pousse lentement d’une main délicate. Derrière lui, on distingue les ombres du bas-côté, longues à cette heure crépusculaire. "

c'est exactement ce qui manque (à mon avis) au chapitre un : des présentations.

Tout bien ce second chapitre. T'es parti pour loin+longtemps ! Hi hi !

JMD

Unknown a dit…

Bien cette petite intro à Da nang que je ne connais pas. Ça promet pour la suite!
La casuistique torpeur, j’aime bieng ! To be continued..