
Après Nara, Kyōto, Beijing, Xian, voici de nouveau une ville née d’un impératif impérial. Ville douce et calme, bercée par le fleuve parfumé – ce Sông Hương aux reflets bleutés où se mirèrent tant de jeunes courtisanes – siège de l’autorité politique et culturelle d’un pays encore si inféodé aux pratiques chinoises. Huế, c’est une affirmation tardive : érigée au rang de capitale du royaume du Vietnam du sud par la dynastie foisonnante des Nguyễn, elle sera la toute puissante et la toute centrale sous le règne de Nguyễn Phúc Ánh – Gia Long de son nom d’apparat – dès l’année 1802. S’ensuit alors une ferveur patriotique qui érige à tour de bras : on construit une citadelle dans laquelle se niche la cité royale, toute empreinte de cette orthodoxie architecturale chinoise, qui évoque bien sûr la cité interdite de la capitale septentrionale de l’Empire du milieu.

Là se trameront durant deux siècles les intrigues de cour, s’écriront les belles pages de l’historioraphie Việt, se déliteront peu à peu les pouvoirs des fils du ciel sous la tutelle des coloniaux. Quand Bảo Đại abdique en 1945 sous la pression des idéologies qui gouvernent bien des têtes en ce milieu du XXe siècle, il laisse une cité au faîte d’une gloire deux fois centenaire.


C’est beaucoup et c’est bien peu. De Hà Nội, Ho Chi Minh et ses ouailles prennent l’Histoire à pleines mains, et abandonnent Hue à ses errances passées. L’heure est aux conflits : on se débarrasse de ces Français embourbés dans les montagnes du nord, on plie mais ne romp point sous les bombes américaines. On laisse Huế à son sort de ville stratégique. Elle en sortira meurtrie : sa cité royale est en ruine, sa population massacrée par d’intransigeants Việt Cộng durant l’offensive du Têt de 1968. Et puis, le calme revenu, on délaisse ces vieilles pierres, témoins d’une splendeur rétrograde et contre-révolutionnaire.

Il faudra attendre l’ouverture des frontières pour entrevoir un soupçon d’intérêt dans ces vestiges d’un Vietnam fantasmatique. Alors, on réhabilite la citadelle, on en fait le point de mire d’une industrie touristique naissante, on parle à nouveau de ces empereurs qui eurent la décence de traiter avec la Chine d’égal à égal.


Huế, aujourd’hui, somnole toujours sous les moiteurs de son climat. Elle rêve encore à ses splendeurs révolues. Elle offre au voyageur bien des raisons de rester à contempler ses vieux murs lézardés, ses pagodes d’antan, ses tombeaux cyclopéens où reposent rois et reines. Huế aura gardé de l’Histoire une leçon bien précieuse : que l’on a beau lutter contre les vents et les tourments, que l’on perde ou que l’on gagne, et c’est l’Histoire qui se fait, qui ne peut se défaire, qui resurgit toujours, sous la poussière ou les gravats, dans des souvenirs éteints et des mémoires déjà mortes, des rêves enfuis ou à venir.
Le voyageur quitte Huế, mais il y reviendra.
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