vendredi 23 août 2024

Anatomie de l'envol

Le processus est toujours un peu troublant. On pénètre dans l’aérogare, dont il faut rapidement interpréter les multiples panneaux et signalétiques. Après un moment d’égarement, on trouve le comptoir d’enregistrement où l’on s’affranchit, un peu fébrile, de nos bagages sous le sourire figé de l’hôtesse qui nous congédie d’un bon vol. S’ensuit une longue marche sinueuse entre cafés et boutiques pour trouver la procession des passagers attendant l’examen de leurs titres de voyage. C’est là, à cet instant précis, sous l’œil sévère de l’officier des douanes, que s’effectue la désincarnation. D’un coup de tampon sur le passeport, nous voilà devenus ombre de nous-mêmes, prêts à évoluer dans la zone immatérielle des couloirs et des portes d’embarquements. Juste silhouettes, juste contours, mus au gré de chiffres et de lettres, pour aboutir devant les verrières immenses derrières lesquelles ronronnent les aéronefs. Assujettis encore aux minutes et aux heures, mais sans plus de consistance, sans plus de densité, on attend silencieux l’ordre de prendre les airs.

jeudi 22 août 2024

Tiers temps

Trois lieux, trois cieux, 

Harmonieux camaïeu.

mardi 20 août 2024

Interurbanisme

Montre en main, douze minutes. Onze à la rigueur, si l’on presse le pas. Au carrefour de Roosevelt et Lafayette, les vieilles lignes électriques des trolleys tracent sur les façades centenaires des sillons emmêlés, dont nous devons dénouer l’orientation. Cap à l’ouest, en suivant un soleil déjà mûr en cette fin d’après-midi. On se dirige donc vers les immeubles plus volumineux des abords de la Part-Dieu. Passé Duguesclin, le paysage n’est plus le même : le béton armé s’empile sans vergogne en barres gigantesques, réfléchi onduleusement dans les façades de verre de tours monolithiques. Les trottoirs deviennent dalles. Le bâti s’étale et s’éparpille en archipels emboîtés. On bifurque sur la droite en suivant Garibaldi, pour enfin apercevoir la savonnette grisâtre de l’Auditorium, flanquée du célèbre Crayon. C’est là, donc, que l’on s’immobilise, pour saisir du regard un autre aspect de l’urbain.

mercredi 14 août 2024

Colored mirages

Un mont si large, barrage à nuages, 
Empile nuées d’aquarelles cendrées.
Au sol le brun, le jade et l’ocre
Jouent de leurs couleurs savanes,
Bourrasques donc qui se pavanent,
Orage d’été, doté de cordes,
De draches froides et tourmentées.
Qui de ce rempart délavé, 
Arrose son aéropage. 

mardi 13 août 2024

Pas touche !

« Oui, oui, comme vous pouvez le voir, ils jouissent ici d’une totale liberté. Ils poussent d’abord droits, souvent le long des murs, et nous leur faisons marteler de petites pièces, classiques et simples, pour les habituer aux échos des chambres de musique. Ils sont très jeunes encore, en pleine période Yamaha, leur timbre est clair et un peu fluet. Un peu plus tard, lorsqu’ils deviennent Kawai, Petrof, Erard ou bien Pleyel, on note une mue, l’arrivée d’inflexions plus sonores, plus pesantes. C’est souvent à ce stade qu’un embryon de queue s’ébauche, qu’ils se détachent des murs pour embrasser l’espace, les volumes vides et vibrants, et qu’ils se frottent à des partitions plus épaisses et plus fouillées. Il faut bien les cajoler à ce moment de leur existence, tempérer leur clavier, y aller mollo sur le rubato, ne pas écraser leurs pédales. On a pour cela toute une collection de concerti baroques à leur soumettre, ou même pléthore de sonates romantiques à souhait. Ensuite ? Ensuite vient la maturité. D’un quart, voilà que leur caisse s’allonge davantage, pour devenir demi-queue. Ils s’arrogent toutes nos capacités d’accueil, ils trônent, ils pontifient. Ils arborent de discrets monogrammes, Bösendorfer, Blüthner ou bien Steinway & Sons, et entendent bien le faire savoir. C’est le temps des attaques, sèches et précises, des harmonies lourdes et profondes, des modulations dissonantes ou éthérées de morceaux magistraux. Tout résonne, au-dedans comme au dehors, sous les acclamations d’un public exalté. Et puis, enfin, vient le moment des désaccords, des mécaniques grippées, des touches qui s’écaillent. Ils déménagent alors et viennent occuper les hangars au milieu des machines-outils, pour mourir à petit feu. On prélève un bout de chevalet ou un étouffoir qu’on bouture, pour qu’un nouvel instrument renaisse, le long d’un autre mur. C’est ainsi, c’est le cycle de la vie des pianos d’ici. »  

Châssinistre

De nombreuses épaves jonchent les abords de la ferme, chacune échouée au gré d’improbables circonstances, mais toutes soumises à la sédimentation des terroirs provençaux : glaises poisseuses, blés durs, épines de pins, feuilles d’olivier et de chêne, petites coquilles de gastéropodes, lézards desséchés, crottes de lérot, mouches mortes. Cette carcasse-là, jadis si gracieuse, ne collecte plus que rouille et fientes de pigeon. Un détail, cependant, lui assure une certaine considération : il y a un impact de projectile – une pierre ? une balle ? – qui étoile le pare-brise en son milieu et suscite bien des interrogations. A-t-elle été abandonnée là, à la suite d’une expédition aixoise qui aurait mal tournée ? Ou alors, c’est un sarcophage déjà vide, le théâtre d’un règlement de compte entre truands marseillais ? Nul ne peut dire, mais tout peut s’échafauder… 

Econography

On y trouve tous les éléments de l’iconographie post-industrielle : deux vieilles Dianes Citroën embourbées là, côte à côte parmi les herbes folles, que flanquent ces containers jumeaux qui attendent le déluge. Quelques lignes électriques rayent un ciel vide et plat. Au loin, des champs labourés mais stériles, des frondaisons encore vertes, et la silhouette d’une usine de mauvais aloi, aux cheminées tour à tour effilées et pesantes, qui crachent à coup sûr un filet délétère. 
 
Étrangement, il y a contrepoint en haut de l’image, grâce au passage furtif d’un oiseau torpille.

lundi 12 août 2024

Comment s’y sent-on ?

On compare souvent, dit-on, ce pittoresque village – vieilles maisons couvertes de tuiles roses, ruelles fleuries, chapelle, puits, remparts et château en ruines – à une crèche provençale. Le décor, il est vrai, est des plus varois : collines, oliviers, ruisseaux, maisons en pierre, bosquets de mimosas jaunes et violets. Ajoutons ici et là quelques ravis, un couple de vieux, une poissonnière, un meunier et son âne, un enfant de bohème, un pasteur barbu et l’affaire est pliée. Ne reste plus qu’à attendre le crépuscule et l’apparition de l’étoile du berger.

dimanche 11 août 2024

Onomastique paysagère

Côte d’azur en nuances de gris, aperçue depuis cette bicoque adossée à sa colline comme un barnacle à son rocher. On y domine les vallons du village de La Londe-les-Maures, en contrebas du massif éponyme.
Adoncques, quelques considérations d’ordre étymologique sur ce toponyme et cet oronyme aux consonnances métissées.

La Londe, d’abord. Il nous vient d’un hobereau bien né, sieur Antoine Lemonnier, Gouverneur des Tours de la ville de Toulon qui, dès 1678, prend possession de vastes parcelles de terres autour d’un petit hameau en bordure de la rade de Hyères, pour y construire une imposante demeure jouxtant l’ancienne chapelle des Bormettes. Il baptise ses pénates « Château de La Londe » en souvenir du marquisat normand et des bocages pluvieux dont il est originaire. Notre gentilhomme connaît son vieux norrois et, même si le temps est plus clément sous ces alizés méridionaux, il reste nostalgique des bois et bosquets détrempés de son Calvados natal.

Quant aux Maures, ils désignent ce massif qui s’étend de Hyères à Fréjus, que les provençaux d’il y a longtemps appelaient « las Mauras de Bormettas », en référence à la couleur sombre – du latin, Montem Maurum, « Mont Noir » – de ses lignes de crêtes. Nulle allusion aux influences sarrasines ici, mais plutôt à la nature sauvage, aux forêts de pin et aux roches affleurantes qui assombrissent le paysage.   

De sorte qu’embrasser du regard les contours de ces reliefs, en nuances de gris, c’est avaliser cette désignation : voici devant nous « les fourrés des monticules ténébreux ». Effectivement, on peut admettre que c’est moins dépaysant, mais ça a le mérite d’être clair.

samedi 10 août 2024

La commode à Seb

 

 Une idée, comme ça,

qu'on exécute, fissa. 

vendredi 9 août 2024

Over troubled water

C’est l’histoire d’un tablier qui tombe à l’eau par deux fois.

Suspendue à ses tirants de fer et retenue par deux piles de pierres taillées, elle a fort belle allure lorsqu’elle s’ouvre au public le 7 septembre 1845. C’est la joie chez les nantis de la rive gauche, dont la progéniture peut enfin traverser le fleuve sans faire le long détour par les ponts Morand ou Lafayette, et arriver enfin à l’heure pour la première cloche du Lycée Ampère, tout rougis par les mille espiègleries auxquelles on peut se livrer sur cette passerelle. Pour autant, la cérémonie d’inauguration n’est pas des plus heureuses, interrompue par les sanglots des veuves et quelques minutes de silence à la mémoire du maître d’ouvrage M. Santil et de huit de ses gars, tous morts en décembre de l’année précédente durant la construction, alors qu’un boulon d’amarrage sauta et fit s’effondrer tout l’appontement. Les Lyonnais compatissent, et l’accident tombe peu à peu dans l’oubli, alors que baguenaudent les riverains et les visiteurs de passage. Il fait bon s’y promener à la belle saison, pour se glisser dans la Presqu’île par l’insolite rue Menestrier.

Un siècle plus tard, rebelote. Cette fois, il n’y a plus de promeneurs qui flânent ou d’écoliers qui s’asticotent. On est sous l’Occupation, ça file droit, mais ça commence à sentir le roussi. Alors, la Wehrmacht fomente une opération de sabotage en bonne et due forme, et la passerelle est dynamitée le 1er septembre 1944 alors que l’armée allemande est en pleine déconfiture. Tout l’ouvrage est irrémédiablement détruit. Il faudra attendre la libération de la ville, quelques jours plus tard, pour amorcer illico sa reconstruction, qui s’achève en mai 1945, au moment de la capitulation teutonne. Les câbles sont de nouveau tirés depuis les aboutements de part et d’autre du fleuve, pour suspendre la travée faite d’un platelage de bois. Une nouvelle fois, les eaux tumultueuses du Rhône peuvent être franchies au rythme tranquille de la marche, pour mesurer le débit des eaux et la profondeur du ciel. 

jeudi 8 août 2024

Venons-en aux faîtes

Elles ne nous regardent pas, ne se regardent pas, juchées là-haut sur un pignon au sommet de cette façade de briques et de béton blanc, curieuses peut-être des reflets des nuages sur le Rhône qui coule en contrebas. Deux têtes colossales, aux traits très art-déco, qui portraiturent Minerve et Mercure, par gout d’hellénisme d’années folles et à jamais perdues. Pourquoi une telle incongruité architecturale a-t-elle poussée là, sur ce bout du quai Sarrail ? On la doit à un certain M. Barioz, opulent fabricant de soieries de son état, qui donc, en 1929, commissionne pour son négoce un immeuble de rapport aux allures d’avant-garde, qu’il couronne de ces deux graves visages, comme pour conjurer la Grande Dépression à venir. L’édifice fait parler de lui, et accueillera au fil des époques consuls, notables et magistrats, férus de pierres nouvelles et de confort moderne.

Un peu plus loin, mais plus couleur locale, un joli toit de tuiles vernissées vient chapeauter un bâtiment angulaire. Cette toiture, pourtant, détonne : on ne trouve pas beaucoup de chape de la sorte, parementée de mignons losanges d’or, pour attirer le regard vers ces fenêtres mansardées qui inspirent sérénades. L’édifice ainsi coiffé, piqueté d'une antenne bulbeuse, est lui aussi bien rupin, mais sans trop d’esbroufe, et se fond dans l’alignement conforme aux quartiers bourgeois de la rive gauche, entre deux perspectives ; celle, cintrée de piliers de pierre, qui suit la travée de la Passerelle du Collège ; l’autre, entravée par l’exiguïté de la rue Bugeaud, qui vient buter sur la colonnade et le chapiteau de l’église Saint-Pothin.

mercredi 7 août 2024

Bout à bout

Drôle d’occurrence, que d’habiter successivement aux deux extrémités de la même rue. La première adresse, côté fleuve, s’ouvre sur un quartier cossu, emprunté parcimonieusement par de vieilles dames promenant aux heures vespérales leurs bichons égosillés. Quelques magasins aux vitrines feutrées offrent chaussures ou bien chapeaux à prix extravagants, tandis que les brasseries font étalages de leur clientèle bien mise. La seconde, côté gare, profite des gargotes orientales pour fleurer d’étranges parfums d’ailleurs, dans le tintamarre des cafés bien branchés. On s’y gare souvent en double-file, dans l’impatience de transactions furtives et sibyllines. L’un dans l’autre, on fait souvent l’aller-retour, du fleuve à la gare et de la gare au fleuve, en avisant les numéros qui séparent ces deux microcosmes, celui du 13 et du 170.

dimanche 4 août 2024

Boarding Gate Expo

Cette cyclopéenne figurine toute de bois verni, on la doit à l’artiste contemporain Kaws qui, comme à son habitude, s’amuse à remodeler une icône de la culture populaire – ici, un Pinocchio plutôt déconfit, à la cécité plus que douteuse – pour susciter chez les voyageurs de passage des réactions discordantes : une pointe d’effroi devant une telle stature, mêlée à l’apitoiement de la voir si abattue. Ça fait son petit effet lorsque, cotonneux encore après un premier vol long-courrier, on tente de s’orienter dans l’espace liminaire de ce terminal aéroportuaire international…