Suspendue à ses tirants de fer et retenue par deux piles de pierres taillées, elle a fort belle allure lorsqu’elle s’ouvre au public le 7 septembre 1845. C’est la joie chez les nantis de la rive gauche, dont la progéniture peut enfin traverser le fleuve sans faire le long détour par les ponts Morand ou Lafayette, et arriver enfin à l’heure pour la première cloche du Lycée Ampère, tout rougis par les mille espiègleries auxquelles on peut se livrer sur cette passerelle. Pour autant, la cérémonie d’inauguration n’est pas des plus heureuses, interrompue par les sanglots des veuves et quelques minutes de silence à la mémoire du maître d’ouvrage M. Santil et de huit de ses gars, tous morts en décembre de l’année précédente durant la construction, alors qu’un boulon d’amarrage sauta et fit s’effondrer tout l’appontement. Les Lyonnais compatissent, et l’accident tombe peu à peu dans l’oubli, alors que baguenaudent les riverains et les visiteurs de passage. Il fait bon s’y promener à la belle saison, pour se glisser dans la Presqu’île par l’insolite rue Menestrier.
Un siècle plus tard, rebelote. Cette fois, il n’y a plus de promeneurs qui flânent ou d’écoliers qui s’asticotent. On est sous l’Occupation, ça file droit, mais ça commence à sentir le roussi. Alors, la Wehrmacht fomente une opération de sabotage en bonne et due forme, et la passerelle est dynamitée le 1er septembre 1944 alors que l’armée allemande est en pleine déconfiture. Tout l’ouvrage est irrémédiablement détruit. Il faudra attendre la libération de la ville, quelques jours plus tard, pour amorcer illico sa reconstruction, qui s’achève en mai 1945, au moment de la capitulation teutonne. Les câbles sont de nouveau tirés depuis les aboutements de part et d’autre du fleuve, pour suspendre la travée faite d’un platelage de bois. Une nouvelle fois, les eaux tumultueuses du Rhône peuvent être franchies au rythme tranquille de la marche, pour mesurer le débit des eaux et la profondeur du ciel.
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