- Il a une tête de
canard ce train.
Il reste dans les
comparaisons aviaires, pour garder ton et contenance.
De lui je
pourrais dire qu’il est plus grand et plus âgé que moi. Que c’est la première
fois qu’il voyage si loin de chez lui. Qu’il est bourru, contradictoire, borné,
inquisiteur, instinctif, qu’il m’a à la bonne depuis une vingtaine d’années
qu’on bourlingue ensemble, de filatures en investigations plus ou moins
légales. On s’est fait une petite réputation sur la place, à force de coups
tordus plus ou moins réussis.
Cette escapade
là, à l’autre bout du monde, ne ressemble à rien de ce qu’on a pu accomplir
jusqu’alors. D’une, c’est une affaire perso. Pour tous les deux. De deux… on
est partis sur cette piste nippone en suivant des indices plutôt maigres. Un
colis adressé à notre poste restante. Dedans, un étui. Pas d’expéditeur, pas de lettre,
pas d’explication. Cachet de la poste japonaise, Osaka, Chuo-ku, daté d’il y a
une semaine. Dans l’étui, un sceau en ivoire représentant un oiseau, longues
pattes, long cou courbé, bec pointu, et un billet de banque. Une rare coupure
de 2000 Yen, avec, griffonnés dessus, trois mots tracés au bic :
« Sayonara, mes agneaux ! ».
Ni lui ni moi ne
pouvons le jurer, mais on a eu la même idée. On reconnaît l’écriture, on
connaît le bonhomme – excellent faussaire, habile contrefacteur, et avec ça, une vraie pie, piètre détenteur
de secrets -, disparu depuis des lustres, avec qui nous avons eu, sur la fin,
quelques différends.
On a pris le
premier avion. Voilà.
Sur le quai, le
Shinkansen pour Himeji ouvre ses portes. Se pressent en un ballet bien réglé
salary-men, office-ladies et retraités en tenue de montagnards. Ça descend et monte
presto, puis le wagon se referme sans un bruit. Et le train part, sans un bruit
aussi, glissant de plus en plus vite vers la plaine de Harima.
Himeji est une
bourgade qui, sans son château, n’intéresserait pas grand monde. Ou plutôt si,
par son caractère typiquement provincial, c’est une ville qui, les mimant toutes,
offre donc un condensé vivifiant d’urbanisme local.
Mais Himeji est
une bourgade dotée de son château, et ça change tout : on le voit de loin,
il surplombe de ses hauts murs blancs toute la plaine. Ses toits s’entassent en
guirlandes bleu-gris. Le tout, donjon et dépendances, repose sur des remparts
de granit et de grès pâles, en paliers vertigineux.
- C’est ça, la pièce
montée qu’on est venu voir ?
- Exact. Je te
laisse visiter. Connais déjà. J’ai rendez-vous, et ça risque d’être une compet
de courbettes. Veux pas t’emmerder avec ça… Avec ta sciatique, tu risquerais de
gagner par KO.
- Pigé. Question
d’honneur, et d’articulations.
- Tout juste,
Auguste. Là, prends une brochure, suis le parcours, instruis-toi, pour une
fois.
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