Seul contre tous.
くそ !
Mes chances sont minces.
Je me retrouve au bas de
la montagne à l’orée du jour. Ma lanterne s’est éteinte. Le sanctuaire, désert,
est atone sous la lumière de l’aube. Je m’assois un instant, et mon regard,
hagard, se pose par mégarde sur l’une de mes pompes, retournée, ratatinée, à l’image de ma situation. Je tente de me remémorer les événements des
dernières heures, mais mon esprit s’embrume. Il me faudrait un ou deux whiskies…
À cette idée, je me relève péniblement, et me mets en quête de l’hôtel le plus
proche, où je trouverai mini-bar, douche, et téléphone.
L’établissement est propret, discret, et remarquablement diligent. À mon
arrivée, le réceptionniste n’accuse que le battement d’un cil pour se
ressaisir. Qu’il ait en face de lui un pouilleux ébouriffé, crotté et égratigné
de pied en cap, n’entame en rien son professionnalisme. Il s’enquiert tout de
même de l’absence de tout bagage, ce à quoi je rétorque qu’il me faudrait
pronto une nouvelle garde-robe, citadin chic, que je payerai rubis sur l’ongle.
- Hai.
Et une paire de bonnes chaussures de marche. Du 43. Et demi.
- Hai.
Et une carte détaillée de la ville.
- Hai.
Passées ces formalités, nous nous saluons, « domo », puis il
me précède jusqu’à ma chambre, proprette, discrète, et remarquablement impersonnelle.
Nous nous resaluons, « domo », en échange de quelques biftons, « domo »,
et la porte se referme.
Au frigo, deux mignonettes de Black Label n’attendent qu’un décapsulage compulsif,
avant qu’un godet ne prenne le relai. Puis la cabine de douche fait son office,
long et brûlant, avant qu’un peignoir ne m’enrobe. La brume se dissipe.
Le bigo, à mon chevet, ravive de curieux flash-back.
Keiko.
Keiko est en nuisette, à cette heure. Keiko est chez elle, à Kanazawa.
Keiko se réveille, Keiko se pelotonne dans son lit, Keiko s’étire, Keiko se
lève. J’attends un peu, qu’elle éclaircisse ses pensées. Je n’y tiens plus, et
décroche le combiné. Elle répond, bien sûr, à la première sonnerie.
Notre conversation, de primesautière et enjouée, devient, au fil de mon
récit, sérieuse et grave. Le compte-rendu n’est pas optimiste, mais après tant
de rebondissements, nous avons au moins la certitude de savoir la fin
prochaine. Quelle qu’elle soit.
- Il me faut l’expertise de ton paternel pour avoir ne serait-ce que le
début d’une idée, pour débusquer la planque ultime. Pourrais-tu lui en toucher
un mot ? Je suis à l’hôtel « Le Dauphin », à Fushimi, oui,
chambre 802. Je vais fermer les écoutilles en attendant mon costume et son
appel. Dis-lui que je lui paye tous les single malts qu’il souhaite, jusqu’à ce
que cuite s’ensuive, s’il me sort de mon ornière.
Elle rit, brièvement. Elle acquiesce. Elle dit au revoir. Elle raccroche. Je
m’allonge. Je m’endors. Je ne rêve pas, heureusement.
Une sonnerie stridente me tire de ma léthargie. Le soleil, par ma lucarne, darde
des rayons de grasse matinée. Je décroche et le flot, aussitôt, me submerge.
« Vous l’aviez ! Vous l’aviez, là, et vous n’en pipiez mot !
Vous l’aviez, là, juste sous la table, et j’aurais pu le voir, rien qu’un
instant ! Rien qu’un instant le voir, et au lieu de ça vous me laissez ébahi
devant une vulgaire photo, et dégoiser sur les empereurs, et les kami, et les
calamités que ceux-là provoquent en représailles des actions de ceux-ci, et je
parle, et on picole, et je parle, et tout ce temps il était là, juste là, et
vous m’avez caché ça ! Et maintenant vous ne l’avez plus, et le monde est
en péril, parce que vous avez voulu la jouer incognito, perso, et moi, je fais
quoi, je vous donne ma fille en pâture, et elle, elle se retrouve assommée, groggy
sur le bitume, et juste après la voilà qui se met à jouer les walkyries pour
vous tirer d’une cave où vous méritiez de croupir pour m’avoir menti !
Vous l’aviez ! Pourquoi me l’avoir caché ? Pourquoi m’avoir mené en
bateau, pour que vous mène tout droit dans la gueule du loup, et qu’ensuite il
faille vous sortir de là, puisque vous l’aviez ?! Et vous l’aviez parce
qu’Inari vous l’a confié ? Inari ? En chair et en os ? Et je
dois avaler ça ? Avec tous les meilleurs scotch ? Et qu’en plus Inari,
donc, dans son illustre bienveillance, vous laisse vous balader ici et là avec
le fruit de son forfait ? むかつく! Vous me faites chier, et
je ne sais pas ce qui me retient de. Et toi, tu me demandes, comme ça, où
aller, et pour chercher quoi ? De quoi te remplir les poches ? Pour
que tu me caches encore quelque chose ? Tu me caches encore quelque chose,
hein ? »
Il soupire. Je ferme ma gueule. Ça dure un temps.
« じゃあ… えっと… Tu vas maintenant, et juste pour aujourd’hui, et parce
que je suis coulant, visiter quelques bicoques impériales. D’après ce que m’a raconté
Keiko, notre façonneur a trouvé refuge pas loin de là où tu te trouves, chez
les plus gros rupins de la cour, rapport aux services rendus et à son état
mental. M’est avis que tu devrais commencer par la baraque Katsura. Tu
appelles, tu dis que tu viens voir les jardins. On te laisse entrer. Tu fais le
tour rapido, et tu explores les 書院, les salles d’études.
Elles sont célèbres et ont vu passer du monde. Mettons que tu ne trouves rien, tu
poursuis. Direction la villa Shugakuin, plus à l’est. Pareil, tu appelles
avant, tu dis que tu viens pour admirer les ginkgos et les morceaux de gravier.
Tu folâtres dans le parc, en horticulteur zen et avisé, et tu pénètres dans le bâtiment
principal. Paraît qu’il y a de beaux gribouillages de Ganku, dont « Les
trois sages rieurs de Kokei ». Observe. Mate aux alentours, flaire, fais
marcher ton ciboulot. Toujours rien ? On continue. Mais quand tu sors,
regarde discrètement autour de toi. Si tu remarques qu’on te file, c’est que tu
suis le bon bout. Perds pas ton temps non plus. Relace des chaussures, et
trace. Tu dois maintenant te rendre au palais Sentō. Là encore, montre
patte blanche, balade-toi, et explore les maisons de thé Seika-tei et Yushin-tei. De chouettes cahutes, parfaites
pour y passer des jours tranquilles, loin de toute agitation. Ah. Chou blanc ?
はて… Te décourage pas. Assied-toi un instant. Fume une
clope. T’as encore de la route à faire. Prochain arrêt…
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