lundi 30 octobre 2017

鸛の物語 十三


Ah, Kyōto ! Son fameux quartier des plaisirs de Gion, les berges de ses rivières Kamo, Takano et Katsura, ses succulentes gargotes et ses marchés couverts, ses pèlerinages en montagne, ses palais impériaux, ses parcs, et ses deux mille et quelques temples. Aiguille, meule, foin, tout y est.

Mais nous avons, grâce à Keiko – Charmante Keiko ! – un point de départ. Une ancre dans ce flot de sanctuaires, une amarre jetée vers le Nishi Hongan-ji, qui nous servira, si Amida Butsu le veut, de tête de pont.
 - Oh, tu ne vas pas te la jouer mystique maintenant ! Je veux bien qu’on soit à la poursuite d’un ancien escroc bien de chez nous, d’un peintre graveur crevard et barjot, et d’un morceau d’ivoire maudit, mais faut pas exagérer. Tous ceux qui convoitent ce truc un brin surnaturel, y sont comme nous, tête sur épaules, et larfeuille sur le cœur. Larfeuille qui se trouve être bien fin, à l’heure où je te cause, et merci encore à notre donzelle de nous avoir avancé pas mal de fric. Tu me feras pas croire qu’on est devenus, par je ne sais quelle computation du Saint-Esprit, missionnaires d’un Très Haut. S’il veut faire rentrer tout son foutoir dans l’ordre, ton Bouddha, il a qu’à bouger son gros cul et arrêter de contorsionner ses poignets en souriant comme un con !

Je ravale ma prière.

Le Nishi Hongan-ji est un gigantesque complexe de temples massifs, qui accusent leur âge et leur statut. C’est lourd, c’est beau, c’est Kyōto. On s’y rend recta, dès la descente de notre bus, parce qu’il est à deux pas de la gare. Mais on a beau y traîner nos fripes de salary-man et de retraité alpestre, personne ne nous vient nous prendre par la main. Alors, on s’assied sur les tatamis du plus grand pavillon, en considérant les pénitents qui viennent se prosterner et écouter psalmodier les bonzes et vibrer les gongs. L’humeur méditative du lieu nous envoûte malgré nous, et nous oublions l’heure. Ce n’est que lorsque les ombres s’allongent démesurément que l’on reprend conscience du tour qu’ont pris les événements.
 - Voilà. Faut vous rendre à l’évidence. On vous a vraisemblablement posé un beau lapin !
On se regarde l’un l’autre, sur l’air de c’est toi qui ?... mais ni lui ni moi n’avons ouvert la bouche. 

On se redresse alors, les genoux un peu flagadas encore.


 - Voilà. Debout, c’est mieux. Sortez maintenant. Ça ne sert à rien de camper par ici.
On obéit, de bien mauvais gré. La nuit est tombée, et l’esplanade devant les temples est presque vide. Cette voix devient pratiquement murmure :
 - Voilà. Là, vous ne me voyez pas ?
Non.
 - Voilà, là, c’est mieux, n’est-il pas ?
Une silhouette chafouine sort de l’obscurité, sapée comme il faut : costard, chapeau, cape, canne à pommeau. Le tout dandy, mais discret. Il chuchote encore :
 - Rien à déclarer ?
Non.
 - Voilà, bien… Laissez-moi donc vous annoncer que les vieux clans aristocratiques – dont je ne fais, fort heureusement, pas partie – se sont tous ligués contre vous et vos soutiens Ikkō. Pas seulement les Imube et Maeda, mais aussi les Hoshina, les Matsudaira, et bien sûr, les Tokugawa. Ils ont bien entendu comploté leurs entrées dans toutes les administrations et bâtiments publics, et vous attendent le pied ferme. J'ai ouï dire que vos aventures les ont passablement indisposés, et qu'ils guettent la moindre occasion pour vous voler dans les plumes ! Je pense même qu’à l’heure où je vous parle, ils doivent déjà savoir que vous musardez par ici. Après tout, je n’ai moi-même pas dû aller bien loin pour vous surprendre. Je vais donc vous guider discrètement hors de ces murs, et, lorsque vous serez moins exposés, vous donner un conseil. Un conseil d’ami. Hm ?

Là-dessus, il nous drape d’un coup de cape, et nous mène, le long des bâtiments, vers une discrète issue qui ouvre sur la rue.
 - Voilà. Hors de vue et de danger, pour l’instant. Vous devriez trouver un endroit pour la nuit, mais pas trop près de la gare. Allez vers le sud, c’est plus tranquille. Bon. Je vous laisse. Tenez. Ça devrait vous rappeler quelque chose.

Il nous tend une enveloppe. Puis il s’évanouit dans les ténèbres.

On déplie la languette. Dedans, un billet de 2000 Yen avec, griffonnés au stylo bille, ces mots :
« À l’aide, mes agneaux ! Sortez-moi de là ! Ils me retiennent prisonnier ! À Fushimi Inari-Taisha ! »

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