jeudi 26 octobre 2017

鸛の物語 九


Bâillonnés, ligotés, à poil, sauf pour le linge style sumotori qui nous écrase les couilles, on n’en mène pas large. Avec des yeux bridés par l’inconfort, on peut distinguer une pièce façon dojo antique, tatami au sol, shoji, fusuma, tout le toutim, et le boss, bien sûr, qui finit par arriver.

Ratatiné, le boss, mais bien sapé et bien entouré. On pose devant lui plateaux laqués et gobelets dorés. Il fait pchsiiit ! en deux doigts cadavériques et tout le monde disparaît.

D’une voix étonnamment haute et claire, il dit :
 - Pardonnez nos manières un peu frustres et notre accueil rustique, nous ne sommes après tout que de pauvres héritiers d’un lignage fort ancien de serviteurs en arme. La délicatesse n’est, j’en ai peur, pas notre meilleure qualité.
Il marque une pause. Rhétorique typique. On s’observe. Enfin :
 - J’ai eu vent de deux gaijin qui portent mauvais sort à d’humbles fabricants du Yamato. De la famille vénérée de Ame no Futotama. Et ces deux étrangers transportent un sceau en ivoire qui ne devrait pas être...  Ah !, oui… Vos vêtements vous attendent et nous en prenons soin. Repassage. Nettoyage même. À sec si nécessaire. Mais j’ai pris la liberté d’extraire le contenu de vos poches, pour ne pas risquer d’égarer quoi que ce soit.

Là, un des mastards réapparaît, et pose devant lui photographie et étui, puis vient nous retirer nos muselières, avant de s’effacer.

 - Le premier, en photo, c’est facile. Kanbe. Un boutiquier du Hyogo. Un bouseux incompétent doublé d’un imbécile, et insolvable en plus... Quant au vôtre… Une grue ou une cigogne, je ne suis pas sûr. Mais le plus étrange, c’est qu’il est sans signature… Comment diable êtes-vous entrés en sa possession ?
 - Il y a des cigognes au Japon ? Vraiment ?

Il se passe un truc. Un sourcil broussailleux tremblote. Une barbichette hésite.

 - Emmenez-les !

Je ne connais rien aux piafs à échasse.
Visiblement, lui non plus.


Une phalange d’hommes en noir se matérialise. On nous escorte dans un lacis de couloirs étroits, faiblement éclairés. Le sol est fait de grosses planches qui couinent sous le pas. Les murs sont blancs, le plafond de bois foncé. Pas de doute, nous jouons les prisonniers dans un vrai chanbara : bientôt, la cellule, et un ou deux katanas scintillent hors de leur fourreau pour nous intimer le silence. Peine perdue, on geint sous l’inconfort de notre ceinture de drap et nos liens trop serrés. Lui, il craque.
 - Bordel ! Ces faces de lune ne perdent rien pour attendre ! M’en vais te les bastonner façon savate, ça fait pas un pli ! À la gréco-romaine même ! Oh ! Pourriez pas nous débiter ces torchons avec vos coupe-choux pour qu’on puisse au moins se sentir un peu plus à l’aise ?
L’auditoire reste impassible. On finit par s’accroupir du mieux qu’on peut, et à chercher un introuvable repos. La soif et la faim commencent à tirailler. C’est comme ça que le boss nous veut pour plus tard. Recette éprouvée du barbichu arthritique, qui nous hospitalise ainsi pour la nuit, en bonne compagnie.


On émerge sous des slogans crachés par des haut-parleurs, qui semblent provenir du dehors. Ça sonne furieusement comme de la propagande nationaliste, avec éructations de longue vie à l’empereur, banzaï nippon, ponctués de musiques militaires. Soudain, une explosion retentit et tout un vacarme de cris, de coups, de poursuites, de portes et fenêtres qu’on défonce parvient jusqu’à nous. Nos gardes, tétanisés, se regardent en duettistes. La grille du cachot est subitement arrachée de ses gonds et nous sommes envahis d’une troupe hétéroclite de jeunes déguenillés. Ils neutralisent la garde à coup de lacrymo et on nous extrait de la en nous portant comme de gros nourrissons. À l’extérieur, ça se castagne encore dans un impeccable jardin zen, entre hommes de main en costards et jeunes punks en tenue d’ouvrier. Une camionnette noire nous attend dans la rue, bardée de drapeaux et des armoiries impériales, toujours postillonnant à plein volume des propos bien xénophobes et réacs et des javas patriotiques. Sitôt embarqués, on écrase l’accélérateur et nous filons dans les ruelles tranquilles d’un quartier de vieilles et nobles demeures, avant de longer une rivière, faire une embardée dans une avenue presque déserte et prendre la fuite vers les montagnes.  

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le rythme est plus moderato. C'est qu'on attend la suite !
SEB.